lundi 2 juillet 2012

Autant donner le brevet dans les Kinder


Je viens de finir de corriger mon lot de copies du brevet des collèges, et le moins qu’on puisse dire est que ceux qui le décrocheront cette année n’auront pas de quoi l’exposer au-dessus de la cheminée.

Tout un chacun peut déjà se désoler sur la facilité déconcertante des épreuves en elles-mêmes. Ainsi, comme repères géographiques, on demandait cette année aux élèves de nommer l’océan indien, l’océan atlantique, l’océan pacifique, les États-Unis, la Chine et la Russie ; difficile de ne pas décrocher les 3 points accordés. Je ne suis pas prof de français, mais mes collègues m’ont fait part des mêmes remarques quant à leur épreuve.

Ce que les gens ne voient pas, en revanche, ce sont les barèmes. Là, on entre dans quelque chose d’encore plus pervers, car a priori caché ; et ceux qui peuvent en avoir un aperçu ne sont pas déçus du voyage.

Ainsi, cette année, on demandait aux élèves ayant choisi l’épreuve de géographie de « composer » (les guillemets sont là pour souligner le peu qu’on demande dans un « paragraphe argumenté ») sur la puissance économique et commerciale de l’Union européenne. Mais le corrigé officiel et le barème qui allait avec ne faisaient aucune référence aux limites de cette puissance. Par conséquent, un élève qui ne parlerait que de la puissance en elle-même, sans montrer que l’Union connaît tout de même quelques problèmes, pourrait très bien avoir 10/10. En pleine crise de l’euro, la pertinence du raisonnement pose tout de même question.

Dans le même ordre d’idée, mais peut-être encore plus grave, l’an dernier, le sujet d’histoire portait sur la France de Vichy. Dans le paragraphe argumenté, on demandait aux élèves de décrire et de qualifier le régime de Vichy ; mais le barème ne mentionnait pas le caractère antisémite de l’État pétainiste. Si un élève le mentionnait, cela lui apportait une valorisation ; mais on pouvait avoir la totalité des points en omettant cette réalité pourtant centrale. Serait-ce un… détail de l’histoire ?

Dernière chose à remarquer : l’an prochain, les épreuves du brevet vont changer. J’ai eu droit aux ébauches des nouveaux sujets. Mieux ou moins bien ?

Il y a du mieux : on demandera davantage de connaissances aux élèves. Ainsi, dans le sujet que j’ai eu en main, on attend d’eux qu’ils datent les lois sur l’école de Jules Ferry et qu’ils en expliquent l’importance dans l’histoire de la République. Comme ils n’ont pas de document pour les aider, il faudra bien qu’ils maîtrisent ces connaissances. En outre, leur demander des explications, et pas seulement des dates, permettra d’éviter le par cœur qui ne permet pas de comprendre.

Mais il y a aussi du moins bien, en particulier concernant le travail de rédaction. Déjà, dans l’ancien brevet, on ne leur demandait pas une grosse réflexion. Mais enfin, le « paragraphe argumenté », comme on l’appelait (très improprement, puisqu’il était justement censé se composer de plusieurs paragraphes), exigeait tout de même (en théorie du moins) de construire un raisonnement historique ou géographique. Dans les nouvelles épreuves, on ne leur demande plus de réfléchir ou de construire un raisonnement mais seulement de raconter, de poser une description d’une réalité.

Bref, voilà le nouveau brevet : plus de connaissances, mais moins de réflexion. Le tout pour former des élèves ayant la tête bien pleine, mais pas forcément bien faite. Ce n’est pas seulement grave pour ceux qui iront au lycée et devront apprendre la méthode de la dissertation sans passer par l’étape intermédiaire qu’était le paragraphe argumenté ; c’est surtout grave parce que cela traduit une volonté très perverse au sommet de l’organisation : on produit les citoyens qui réfléchiront le moins possible. Après ça, on leur donne le pouvoir.

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