jeudi 13 décembre 2012

Autour de l’abattage rituel

Au début du mois, la Cour constitutionnelle polonaise a interdit l’abattage rituel casher et hallal. Motif : la loi de 2004 qui autorisait cette pratique est contraire à une loi antérieure, de 1997, qui interdisait tout abattage sans étourdissement préalable. L’interdiction n’a donc rien à voir avec la religion, elle vise seulement à éviter toute souffrance animale inutile.

Évidemment, les juifs et les musulmans s’émeuvent. Après la décision judiciaire allemande en direction d’une interdiction de la circoncision pour raisons religieuses (interdiction qui touchait exactement les mêmes communautés et donc j’avais à l’époque parlé ici même), forcément, ils commencent à sentir un vent potentiellement dangereux pour leur culte. Dans la foulée, les autorités chrétiennes haussent également le ton ; non pas que la question les concerne, mais elles se disent qu’elles risquent d’être touchées un jour ou l’autre, et espèrent un renvoi d’ascenseur.

Pour ma part, tout pratiquant que je sois, cette décision me réjouit plutôt. Pour éviter d’être immédiatement taxé d’islamophobe crypto-antisémite tendance nazie néo-facho, quelques précisions utiles.

D’abord, contrairement à une certaine proportion de mes compatriotes en écologie radicale, je ne suis pas végétarien. Je mange de la viande. D’abord parce que j’estime que c’est dans ma nature, l’homme étant biologiquement omnivore (comme le prouve en particulier sa dentition) ; mais aussi pour des raisons philosophiques : si je ne mangeais pas de viande, il faudrait toujours que je mangeasse des plantes, sauf à me laisser mourir, et en bon biocentriste, je n’estime pas que les plantes aient moins de valeur que les animaux.

Pour vivre, il faut donc que je tue. Sincèrement, je le regrette. Je me sens en parfaite communion là-dessus avec Khalil Gibran qui écrivait dans Le Prophète : « Puissiez-vous vivre du parfum de la terre, et comme une plante vous sustenter de lumière. » Mais voilà : je suis un animal, donc je tue pour vivre.

À partir de là, l’idée de ritualiser la mise à mort des animaux (et des plantes) me semble excellente. Le faire nous permettrait de ne jamais oublier qu’ôter la vie, quelle que soit la vie en question, est toujours un acte grave, douloureux (ou au moins qui devrait toujours l’être) et, au fond, contraire à ce que j’imagine être la volonté de Dieu pour un monde dont le mal serait absent. Là encore, je peux citer le même texte de Gibran :

« Mais puisque vous devez tuer pour manger, et ravir au nouveau-né le lait de sa mère pour étancher votre soif, faites-en donc un acte de dévotion,
Et que votre table soit un autel sur lequel les purs et les innocents de la forêt sont sacrifiés pour ce qui est plus pur et plus innocent en l’homme.

Lorsque vous tuez une bête, dites-lui en votre cœur :
“Par la même puissance qui t’immole, moi aussi je suis immolé ; et moi aussi je serai dévoré.
Car la loi qui t’a livrée entre mes mains me livrera entre des mains plus puissantes.
Ton sang et mon sang ne sont que la sève qui nourrit l’arbre du ciel.”

Et lorsque vous mordez une pomme à pleines dents, dites-lui en votre cœur :
“Tes semences vivront dans mon corps,
Et les bourgeons de tes lendemains fleuriront dans mon cœur,
Et ton parfum sera mon haleine,
Et ensemble nous nous réjouirons en toutes saisons.” »

Donc, tout en étant absolument opposé à toute forme de sacrifice sanglant, je ne suis pas par principe hostile à un abattage ritualisé (ce qui est extrêmement différent) ; bien au contraire. De même, je suis tout prêt à reconnaître que, malgré l’étourdissement préalable, la souffrance que les animaux endurent dans les abattoirs industriels est infiniment supérieure à celle qu’ils connaissent dans le cadre des abattages casher et hallal. Bien sûr, il faut lutter de toutes nos forces contre cette barbarie moderne.

Mais il faut aussi bien comprendre qu’en l’occurrence, nous ne sommes pas devant une alternative entre l’abattage industriel ou l’abattage casher et hallal. D’autres options existent. De même, on ne peut pas s’interdire de lutter contre un mal sous prétexte qu’il y a pire.

L’abattage casher et hallal tel qu’il est pratiqué aujourd’hui est-il un mal ? Quand ceux qui l’accomplissent refusent l’étourdissement préalable, je réponds « oui » sans la moindre hésitation, puisqu’il accroît de manière parfaitement inutile la souffrance des animaux mis à mort. Un mal bien moindre que l’abattage industriel, certes, mais un mal tout de même, et qui, à ce titre, doit être combattu.

Ritualiser la mise à mort des êtres vivants, oui ; mais à condition de bien comprendre le sens de cette ritualisation, à savoir la reconnaissance de la gravité de l’acte accompli et l’expression d’une gratitude envers l’être sacrifié à notre propre survie. Ritualiser pour ritualiser, ou pour respecter une tradition sans la comprendre, au seul titre de son caractère ancestral, c’est honorer Dieu du bout des lèvres, mais avec un cœur éloigné de Lui.

Tout en ayant conscience de la barbarie de notre propre système d’abattage industriel, et sans bien sûr renoncer à le mettre à bas, ce qui doit rester un de nos combats prioritaires, saluons donc la décision de la Cour de Pologne, et espérons le même sursaut en France.

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