vendredi 30 novembre 2012

L'avènement de Séraphin Lampion ou la société des parasites

Le pire des personnages de Tintin n’est pas à proprement parler un « méchant ». Ce n’est pas Allan Thompson, pas Rastapopoulos, pas le général Tapioca, certainement pas le colonel Sponsz, moins encore Mitsuhirato. Non, le plus abominable de tous n’est pas un criminel, ni un bandit assoiffé de pouvoir ou d’argent ; c’est celui que Cavanna appelait « l’authentique ordure, le vrai Dracula, le roi des cons-méchants, l’assassin du genre humain, le con-chieur de planète fleurie : monsieur tout-le-monde ». J’ai nommé Séraphin Lampion.

C’est le beauf de Cabu, en moins méchant et en pas politisé. À part ça, c’est bien lui. Il a sa bêtise, son ignorance crasse, sa vulgarité. Éternel importun, souvent à la limite de l’incorrection, parfois franchement grossier, il ne sert à rien les rares fois où on pourrait avoir besoin de lui. Quand il n’est pas en train de déranger le capitaine Haddock, il est devant sa télévision. Il culmine dans une merveilleuse page des Bijoux de la Castafiore où, apprenant que la diva possède une fortune en joyaux, il se lance dans une tirade, sa bière à la main : « C’est fou ce que ça rapporte, chanter ! Hein ? On ne croirait pas ! Notez que je ne suis pas contre la musique, mais franchement, là, dans la journée, je préfère un bon demi. » Air pincé de la cantatrice, qui a la classe, elle, même si elle est aussi un peu ridicule (mais n’est-elle pas la seule à ne jamais trébucher sur la marche brisée ?), et qui supporte la conversation, assise à côté de lui.

Bref, Lampion est un rustre, un nuisible, un parasite. Il est aussi assureur. Il le rappelle à l’envi, dès qu’il se présente : « Séraphin Lampion, des assurances Mondass. » Ce n’est pas un hasard, naturellement. Sa profession n’est qu’une autre manière de dire la même chose, et il est un parasite jusque dans son métier.

Oui, les assureurs sont des parasites ! Pas tous, bien sûr. Y en a des bien, comme dirait l’autre. Certaines mutuelles, indépendantes des grands groupes financiers, sans intermédiaires commissionnés, qui ne pratiquent pas la réassurance et, n’ayant pas d’actionnaires à rémunérer, peuvent redistribuer l’essentiel des bénéfices aux adhérents (suivez mon regard), font un très bon travail. D’ailleurs, l’assurance est une mission essentielle : la plupart des gens ne pourraient pas assumer financièrement le coût des accidents de la vie qui leur pleuvent dessus comme la vérole sur le bas-clergé breton. Si la maison d’un ouvrier à la chaîne prend feu, il faut bien que quelqu’un paye pour la reconstruire, et ce ne sera certainement pas lui.

Mais c’est justement parce qu’ils assurent (ah-ah) une mission aussi importante qu’il devrait s’agir d’une mission de service publique, intégralement prise en charge par l’État, donc conduite par des fonctionnaires (ce qui est tout aussi vrai pour d’autres activités comparables comme la banque, la médecine ou la défense des prévenus devant la justice). Au lieu de quoi, ce service est livré en pâture à une bande de vautours au milieu desquels seule une infime minorité de mutuelles respecte les vertueux principes énoncés plus haut.

C’est bien simple : promenez-vous dans votre quartier et comptez combien il y a de banques ou de compagnies d’assurance. Il y en a davantage que de boulangeries ! C’est une formidable perte d’énergie et de moyens. Une agence bancaire ou d’assurance, ce sont des guichetiers, mais ce sont aussi des chefs de service, un directeur d’agence, des bâtiments, que sais-je encore. Si on nationalisait tout cela, on n’aurait plus qu’une seule agence par quartier (ce qui n’a rien à voir avec le communisme, je ne propose pas de nationaliser les terrains agricoles ou l’artisanat). Bien sûr, il faudrait davantage de guichetiers pour répondre aussi efficacement aux besoins du public ; mais on réaliserait d’énormes économies d’échelle en se contentant d’une seule hiérarchie, d’un seul bâtiment etc. au lieu d’en avoir dix. On nous parle de la crise, des dettes publiques ? Mais de qui se moque-t-on ! Des gens qui pompent nos ressources vitales sans rien nous apporter, dont on pourrait si aisément se passer, n’est-ce pas la définition même d’un parasite ?

Alors bien sûr, je sais que certains vont me proposer de rebaptiser ce blog « Chroniques misanthropiques », voire « Meneldil n’aime pas les gens ». Mais pas du tout, en fait. Je ne propose pas de pendre avec leurs tripes ces gens dont je devine qu’ils ont quelque talent. Mais qu’on les mette enfin à une tâche utile ! Et puis que voulez-vous ? Pour moi ce fut une semaine de merde, souvenez-vous.

jeudi 29 novembre 2012

L'informatique et la publicité : une espèce débile, une espèce invasive

Il y a des choses qui m’énervent. C’est pas nouveau, vous allez me dire. Plus souvent qu’à votre tour, allez-vous ajouter si vous êtes un de mes élèves (je blague, mes élèves ne parlent pas comme ça). Oui mais qui m’énervent vraiment vraiment. Deux trucs, récemment.

Premier truc : je tombe sur un article du Monde, daté du 25 octobre dernier, et intitulé « Windows 8 : une prise de risque forte mais obligatoire ». Moi, bien surpris (« Quoi ? Ils sortent Windows 8 ? Déjà ? »), très vite affolé (ceux qui se souviennent de mon article du 20 novembre 2011, tiens, il y a presque pile un an, savent que je me méfie instinctivement de ce genre de nouveauté, alors quand on m’annonce « une prise de risque forte », je commence à suer à grosses gouttes en m’imaginant déjà devoir déployer des ruses sans fin pour faire tourner mes vieux jeux sur la nouvelle machine), je me rue là-dessus.

Et là, au cœur d’un article qui me fait pressentir que mes pires craintes concernant cette nouvelle version satanique vont être non seulement confirmées mais dépassées, donc m’ayant déjà mis d’une humeur assez noire, je tombe sur une phrase qui me fige. Je vous la cite in extenso :

« [Les tablettes] font la différence par leur esthétique dépouillée, leur maniabilité et, surtout, le fait qu’elles se connectent immédiatement à Internet, alors qu’il faut encore quelques secondes, voire quelques minutes avec un PC. »

Pardon ? Le fait qu’il faille « quelques secondes » à un PC pour se connecter à Internet nécessite qu’on perde un temps et une énergie incroyables à concevoir un nouveau système d’exploitation pour PC ? Mais dans quel monde vit-on ? Je sais bien qu’on vit dans le « siècle de la vitesse » et que le Système impose d’aller vite, toujours plus vite. Je suis bien placé pour le savoir, je lutte contre. Mais qu’un journaliste du Monde écrive sans ciller une énormité pareille, en ayant l’air de se prendre complètement au sérieux, moi-même, ça me glace.

Pour me détendre, je vais mater un peu les Guignols de l’info. Site de Canal+, lancement de la vidéo, évidemment précédée d’une pub. Jusque-là, rien que de très banal. Ça faisait d’ailleurs longtemps qu’elles me cherchaient, ces pubs de plus en plus inévitables sur les vidéos. Vous vous souvenez, au début, il y en avait une, avant la vidéo. Maintenant, sur Youtube, elles sont partout : en bas, en haut, elles vous cachent l’image, il faut les minimiser, et encore, elles ne disparaissent jamais complètement, il y a toujours une vieille flèche pourrie ou un petit onglet en carton pour vous rappeler que oui oui, si vous avez envie, vous pouvez toujours aller acheter des guitares ou faire une croisière avec frais de dossier offerts, plutôt que de regarder tranquillement votre truc. Connard, t’es demeuré ou quoi ? Si j’avais voulu faire une croisière avec frais de dossier offerts, j’aurais pas tapé « Rondeau des Indes galantes », j’aurais tapé « Croisière avec frais de dossier offerts » !

Bref. Énervé mais habitué, je coupe le son de la pub et je passe sur un nouvel onglet pour vivre ma vie pendant les 30 secondes que va durer cette petite plaie du quotidien. Les 30 secondes quasiment passées, je reviens… pour m’apercevoir avec stupéfaction que la pub n’a pas bougé. C’était tellement énorme que j’ai cru que je l’avais mise involontairement en pause, Dieu sait comment. J’ai refait le test : eh bien non, c’est comme ça que ça marche, maintenant. Sur le site de Canal+, quand tu changes d’onglet pendant les pubs qui précèdent les vidéos, ou quand tu minimises la fenêtre (ils ont pensé à tout, les salauds, pas d’échappatoire), ta pub se met sagement en pause en attendant que tu daignes lui accorder toute l’attention qu’elle mérite.

Bon, eh bien ça, je trouve que c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Je suis d’ordinaire un anti-pub nuancé : loin du fanatisme de certains de mes amis écologistes radicaux, je trouve que les publicitaires font parfois un boulot génial ; certaines de leurs œuvres sont extrêmement drôles ; d’autres font indéniablement partie de l’art. Je regrette évidemment toujours les causes qu’elles servent, le profit et la consommation, mais je peux trouver du positif dans leur travail (et ce même si la plupart des pubs sont infiniment merdiques).

En revanche, je trouve absolument insupportable qu’on cherche à nous imposer de les regarder. La pub n’a pas à être un sas d’entrée obligatoire vers une vidéo ou une musique. Comme à la télé, on doit pouvoir changer de chaîne. Bien sûr, je peux toujours couper le son et ouvrir mon bouquin, voire éteindre mon écran si je veux absolument préserver mes fragiles pupilles ; mais quand même, cette manière de faire est mesquine, sournoise, petite, minable.

Il y a un lien entre les deux anecdotes, les plus malins d’entre vous l’auront bien vu : ils révèlent une société qui a complètement perdu de vue les choses importantes, qui ne sait plus du tout faire la différence entre l’essentiel et l’accessoire, et qui cherche à nous imposer l’accessoire en nous détournant de l’essentiel. Consternant.

Voilà, pour moi ce fut une semaine de merde, alors imaginez…

mercredi 28 novembre 2012

La supercherie de Valérie Pécresse

On va dire que je ne suis pas le rythme de l’actualité, que maintenant, le feuilleton, c’est la crise à l’UMP, et que parler du mariage homo, c’est complètement has been. Et qu’en plus (j’entends d’ici ma femme), depuis l’élection de François Hollande, j’ai dû faire cinq ou six billets consacrés au moins en partie à ce sujet, et que je ferais bien de changer de disque si je ne veux pas que cette apparente monomanie devienne fort suspecte.

Peut-être. Mais au fond, sur la crise de l’UMP, aussi bizarre que ça puisse paraître, je maintiens, globalement et à long terme, mon diagnostic du 20 novembre dernier : l’état du malade empire, mais il devrait se remettre. Bien sûr, il faut faire preuve de la plus grande prudence : depuis que François Fillon a contesté par d’autres biais que ceux prévus par le parti l’élection de son adversaire, le jeu est extrêmement trouble. Je pense d’ailleurs que Fillon ne calcule pas, ne calcule plus, qu’il n’est plus vraiment dans une démarche rationnelle, mais qu’il est surtout aveuglé par la haine, la rage, la colère, une colère froide, glaciale, et qu’il veut la chute de Copé à tout prix. J’ai sans doute sous-estimé la haine que doivent se porter ces deux hommes, ainsi que leur ambition personnelle, pour qu’ils en soient là aujourd’hui.

Cela dit, même après la déclaration de Copé comme quoi les conditions ne sont pas réunies pour l’organisation d’un référendum interne, je doute qu’on voie bientôt la fin de l’UMP. Les dissidents ont fondé leur groupe parlementaire, mais un groupe parlementaire, ce n’est pas encore grand-chose, au fond ; la rébellion reste surtout de l’ordre du symbole, de l’image. La vraie question va arriver à la fin de la semaine, quand ils devront dire quel parti ils décident de faire profiter de leurs subventions (je rappelle qu’un député rapporte chaque année plus de 41 000€ au parti auquel il se rattache). S’ils décidaient de se rattacher pleinement à un autre parti que l’UMP, une ligne rouge serait franchie.

Mais franchement, je ne vois pas la totalité des députés dissidents accepter de se rattacher ainsi à un autre parti ; et je ne vois surtout pas les militants les suivre sur cette voie. Soit Sarkozy reviendra imposer un vainqueur de son choix, soit Copé jouera le pourrissement et la montre pour pérenniser le statu quo, et dans les deux cas, je continue donc de croire que tout rentrera dans l’ordre, qui qu’en soit le bénéficiaire.

Bon, c’est bien joli, tout ça, mais avec cette saga, décidément bien addictive, je ne vous parle pas du mariage pour tous. Or, il y a quelque chose qui devrait aller sans dire, mais qui ira encore mieux en le disant : non, la droite, si elle revient au pouvoir, ne reviendra pas sur le mariage homosexuel. Non seulement les élucubrations de certains sur un possible « démariage » des couples homos mariés sous la présidence Hollande sont de la pure blague, mais ceux qui promettent à leur électorat de revenir sur la réforme elle-même, même sans démarier les couples déjà unis par la loi, mentent de manière éhontée. Les Pécresse, les Copé, les Fillon qui jurent leurs grands dieux que oui, ils reviendront sur cette réforme, qu’au moins ça ne s’appellera plus « mariage », racontent n’importe quoi : tout ça, c’est des bêtises, des chansons et des imbécillités, et je ne peux pas envisager qu’ils croient eux-mêmes ce qu’ils disent. À la suite du cardinal Vingt-Trois, beaucoup de personnalités de droite ont dénoncé le mariage pour tous comme étant une « supercherie » ; mais la supercherie, ce sont eux qui la pondent avec cette promesse rageuse.

Pourquoi ? Déjà parce que les homosexuels représentent finalement une part pas négligeable de l’électorat, et qu’autant les politiciens de droite pouvaient espérer en garder quelques-uns dans leur poche en leur refusant une avancée, autant ils se les aliéneraient définitivement en leur retirant un acquis. Même quelqu’un qui accepterait de prendre ce risque politique énorme en faisant campagne sur ce thème se dépêcherait, une fois au pouvoir, d’enterrer cette promesse forcément intenable.

Ensuite parce que de toute manière, personne ne revient jamais sur ce genre de réforme. Il faut d’ailleurs savoir gré à Xavier Bertrand d’avoir eu l’honnêteté de le dire. Dans un entretien à L’express du 21 au 27 novembre 2012, à la question : « La droite peut-elle s’engager à revenir sur le mariage homosexuel et l’adoption ? », il répond simplement : « Y a-t-il beaucoup de réformes de société sur lesquelles on revienne ? ».

Merci de votre franchise, monsieur Bertrand. Enfin un commerçant honnête !



*** EDIT ***

Eh non, finalement, Xavier Bertrand n’est pas plus courageux que les autres, et surtout pas plus stable : voilà qu’aujourd’hui, lui aussi promet de revenir sur la loi Taubira. Juppé semble décidément le dernier recours de la gauche. Si on m’avait dit ça en 1995…