dimanche 21 avril 2013

Le parfumeur et le bullocrate

Lors de la campagne pour les élections européennes de 2009, le groupe de pression Libertas, alors dirigé par Philippe de Villiers et Frédéric Nilhous (et pour lequel, faut-il le préciser, je n’ai pas instinctivement une immense sympathie), avait réalisé un montage vidéo très bien fait et que j’avais trouvé très drôle : en utilisant des images de La menace fantôme, il parodiait les instances européennes (en particulier le Parlement et la Commission) et les représentait sous les traits d’un groupe de « bullocrates » siégeant dans un « moulodrome » et dirigés par un « Grand Abstrait », le tout étant occupé à pondre en permanence des lois inutiles et même nuisibles.

Si les élections européennes avaient lieu prochainement, les opposants à l’UE telle qu’elle se construit en ce moment pourraient ressortir cette vidéo sans en changer un pixel, car la réalité rattrape la fiction. Comme l’indique un article du Monde, un rapport scientifique mandaté par la Commission de Bruxelles et portant sur la fabrication des parfums prône l’interdiction de trois ingrédients « potentiellement allergisants » et une limitation très stricte de certaines substances naturelles. Problème : tous ces ingrédients sont extrêmement utilisés dans la parfumerie aujourd’hui.

Qu’on se préoccupe de santé publique, c’est normal. Que l’Union européenne ponde des normes pour protéger ses citoyens, c’est son rôle. Mais il faudrait quand même apprendre un peu à faire la différence entre ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas. Alors que cette même Commission ferraille tant qu’elle peut pour faire autoriser les OGM, alors qu’elle est incapable de contrôler efficacement la filière de la viande bovine, alors qu’elle ferme les yeux sur les conflits d’intérêts, pourtant gros comme des pyramides, de ses prétendus « experts », je trouve un peu fort qu’elle se préoccupe de détails aussi infimes.

Parce que tout de même, de quoi parle-t-on ? De substances « potentiellement allergisantes ». Pas « cancérigènes », non : « allergisantes ». À mon avis, on est très loin de l’urgence sanitaire ; aucune vie ne m’a l’air en danger. Face à ce « risque » bien minime, on a bien sûr les risques pour les emplois, bien réels quant à eux ; et sans rien enlever à l’importance de ces considérations économiques (qui signifient tout pour les familles concernées), je voudrais souligner en outre le risque pour les parfums eux-mêmes.

On a déjà perdu des parfums. En 2003, d’après le même article du Monde, la réglementation européenne (déjà…) avait conduit les industriels du parfum à appliquer un principe de précaution qui avait été à l’origine de la modification de nombreux parfums et de la disparition de quelques-uns. Bien sûr, beaucoup de gens diront que ce n’est pas grave, que ce ne sont que des parfums et qu’ils en font d’autres. Je suis d’accord pour dire qu’il y a plus grave, évidemment ; mais pas pour dire que c’est sans aucune importance.

Un parfum, c’est quelque chose qui oscille entre commerce et génie, entre produit artisanal et œuvre d’art. Perdre une note dans un parfum, c’est perdre tout le parfum, comme perdre une note dans une symphonie reviendrait à perdre toute la symphonie. Et perdre un parfum, c’est perdre quelque chose d’unique. Pas seulement quelque chose qui vous parfume et que vous aimez, mais quelque chose qui vous évoque des souvenirs, des émotions. C’est perdre une madeleine de Proust. Quoi de plus évocateur qu’un parfum ? Parfois, je plonge la tête dans un tiroir ou dans un drap, et sans crier gare, je me retrouve il y a 20 ans chez ma grand-mère. Quand je m’asperge de Touch, j’ai l’impression d’être revenu en prépa et de rencontrer à nouveau ma future femme.

La Commission européenne a tout à gagner à se désintéresser de ce rapport et à se pencher sur quelques vraies questions. Elle évitera de créer des problèmes là où il n’y en a aucun. Elle aura même une petite chance de régler un vrai problème ou deux. Et, chez les citoyens qu’elle prétend diriger, elle fera peut-être renaître un peu de la confiance que, jusqu’à présent, elle s’est toujours acharnée à dilapider avec la même constance et la même stupidité.

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