mercredi 3 avril 2013

Soyez végans jusqu'au bout, soyez anti-industriels

Deux chroniques sur les végans en deux jours, on va croire que c’est de l’acharnement, et même pas thérapeutique. Mais c’est que j’ai eu un peu maille à partir avec eux ces derniers temps. On m’a expliqué successivement que j’étais con, que j’étais incohérent, que j’étais chiant, que j’étais méchant, que je ne pouvais pas prétendre protéger les animaux puisque je les tuais. Cette dernière théorie m’a particulièrement plu (ah ? alors personne au monde ne peut prétendre protéger les plantes ou militer pour la protection des plantes, puisque tout le monde tue des plantes pour se nourrir). Quand j’essayais d’apporter un argument dans le débat, en général on m’accusait de troller (ah ?), de pourrir (ah ?), et on renvoyait à l’un des « arguments » ci-dessus. Alors que voulez-vous, il faut bien que je me défende un peu.

Ma précédente chronique essayait d’expliquer un peu mon biocentrisme et dénonçait le végétarisme comme étant le dernier avatar du spécisme qui prétend établir des distinctions de valeur entre les différentes espèces vivantes. À présent, je voudrais revenir sur un autre point de l’argumentaire traditionnel végan qui me pose un peu question.

Pour les besoins de la discussion, on va mettre de côté la question des plantes et admettre l’évidence, à savoir que, pour un animal, il est préférable de continuer à vivre plutôt que d’être tué.

Que refusent les végans ? De manger de la viande, du poisson, normal, il faut tuer pour ça. Des œufs, bon, on comprend encore, après tout l’œuf est un poussin en devenir. Les végans refusent-ils systématiquement, sur le même principe, tout avortement ? Il est permis de se poser la question, puisque après tout un embryon est tout autant un être humain en devenir, et qu’il n’a rien demandé à personne non plus. Mais passons. Le lait et ses dérivés, oui, admettons encore, puisque pour avoir le lait, en général on en prive le bébé, et qu’on le mange souvent dans la foulée. La laine, le cuir, le miel, la cire d’abeille ? Là on comprend quand même de moins en moins.

Passe encore pour le cuir, encore qu’on pourrait le récupérer sur des animaux morts de leur belle mort, je suppose. Mais la laine ? le miel ? la cire ? On peut très bien en prendre aux animaux qui les produisent sans que ça ne leur coûte grand-chose. Le miel et la cire peuvent très bien être pris dans les ruches, à condition d’en prendre en quantité raisonnable (je ne parle évidemment pas de l’apiculture industrielle contemporaine) ; les abeilles refont le travail, mais comme l’apiculteur les protège en retour, c’est davantage un échange de bons procédés que de l’exploitation, je trouve. De même, le printemps arrivé, les moutons n’ont plus besoin de leur laine, et la tonte n’est pas forcément une torture, que je sache.

Là où le mode de vie végan (puisqu’il s’agit bien d’un mode de vie, pas seulement d’un régime alimentaire) commence à sembler franchement incohérent, c’est qu’à côté de cela, les végans ne militent pas particulièrement contre d’autres choses pourtant bien plus néfastes aux animaux. Prenons le plastique, par exemple. N’étant pas biodégradable, il finit largement dans la nature et dans la mer où il cause aux animaux des souffrances incalculables. Ou le pétrole : les modifications climatiques induites par son utilisation signeront dans les années et les décennies à venir la disparition d’écosystèmes entiers. Cela signifiera la mort non seulement de millions d’animaux, mais même de centaines d’espèces animales entières !

Si l’on pousse un peu l’analyse, on s’aperçoit que c’est en fait l’ensemble de la civilisation techno-industrielle qui est la source majeure de la souffrance animale à l’heure actuelle. Elle l’est bien sûr par l’enfer de l’élevage et de l’abattage industriels ; mais elle l’est aussi, et à une échelle bien supérieure, par la destruction du monde tel que nous le connaissons, qui représente son aboutissement nécessaire et inéluctable. En d’autres termes, alors qu’on pourrait parfaitement tondre les moutons et récolter le miel de façon pleinement respectueuse des animaux qui les produisent (laissons de côté la question plus complexe de la viande), il est fondamentalement impossible de prétendre utiliser le pétrole et le plastique d’une manière respectueuse de la vie animale.

Ce qui fausse les choses, c’est que je crois que beaucoup de végans ne sont pas vraiment intéressés par les animaux en général mais par certains animaux bien particuliers. En gros, j’ai l’impression (tant mieux si je me trompe) que beaucoup se préoccupent davantage du sort des animaux domestiques que des animaux sauvages, et que parmi les animaux sauvages, beaucoup s’intéressent, dans l’ordre de priorité, d’abord aux mammifères, puis aux oiseaux, puis aux autres vertébrés, le reste de la masse (qui constitue pourtant l’essentiel du règne animal) n’arrivant que très loin derrière.

De la même manière (là encore, comme j’aimerais me tromper !), j’ai l’impression que les végans se focalisent sur les souffrances les plus visibles (l’égorgement du pauvre agneau aux yeux mouillés, le vison pelé vivant…) au détriment de la lente agonie dans laquelle le système techno-industriel plonge, et de plus en plus, la grande majorité des animaux de cette planète.

Qu’on me comprenne bien : je ne minime pas les premières ; elles sont intolérables, et doivent être supprimées. Je l’ai dit ici même : l’élevage et l’abattage industriels ne peuvent pas être réformés et doivent disparaître. Mais à mon sens, cela ne signifie pas que toute forme d’élevage ou d’abattage soit condamnable. Bref, ce que semblent n’avoir pas compris les végans, c’est que l’élevage et l’abattage posent en soi, pour les animaux, infiniment moins de problèmes que le caractère techno-industriel de notre civilisation, dont l’élevage et l’abattage industriels ne sont qu’un volet parmi d’autres, et non moins destructeurs.

Ils me répondront sûrement que lutter contre la civilisation techno-industrielle est impossible et voué à l’échec. Je ne sais pas, mais c’est mon combat et celui de Tol Ardor, en tout cas. Et ce qui est certain, c’est qu’homo sapiens a vécu durant 99,99% de son histoire sans pétrole, sans plastique, sans électricité ; on ne peut pas en dire autant de la laine et de la viande. Alors qu’est-ce qui est le plus facile à supprimer, après tout ?

Amis végans, soyez cohérents, soyez végans jusqu’au bout. Repensez vos priorités, et demandez-vous, en toute franchise, en toute honnêteté, ce qui fait aujourd’hui le plus de mal aux animaux : le pétrole et le plastique, ou le lait et le miel ?

5 commentaires:

  1. En gros, les végans sont des anthropomorphistes. ça aurait pas été beaucoup plus rapide de le dire en une phrase ? ;-)

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  2. Plus rapide sans doute. Mais un tantinet moins convainquant. Et propice au retour d'épithètes moins accortes. Plutôt que d'une invitation à la discussion argumentée. Un peu ce qui se passe quand je traite mon adversaire d'imbécile. Je ne l'aide pas à grandir. Mais, outre que je caresse mes alliés dans le sens du poil, je l'invite à la faute de colère, et donc à la guerre. Dans l'espoir de l'écraser.

    Un débat qui se passe et de définitions, et d'argument, ne mérite le nom que de pugilat. Le web en est infesté, de ces gens à "idées" qui ne sont que des opinions mâtinées d'indignations brutes. Il est plus rare de rencontrer un vrai désir de comprendre, faire comprendre, discuter et prendre le risque d'avoir tort. Ce que je salue, bien fraternellement, s'il m'est autorisé.

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    1. Marc, je n'arrive pas bien à saisir, dans votre commentaire, si vous me placez du côté du "vrai désir de comprendre" ou des "opinions mâtinées d'indignations brutes"...

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    2. Pardon, je reviens tard sur ce post. Je répondais à Anonyme et ma réponse s'est mal enquillée dans votre blog. Mon commentaire s'adressait à son avis lapidaire, et mon salut final vous étais adressé. Vous êtes un des rares que je lis - le plus souvent :D - longuement argumenter vos positions. J'apprécie. Beaucoup.

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  3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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