mercredi 15 mai 2013

Les catholiques et le mariage pour tous : l'espoir changea de camp, le combat changea d'âme

Aurais-je déjà raison ? À terme, je n’avais guère de doute, mais si vite ! je ne m’y attendais pas. Je ne sais pas vous, mais moi je sens comme un flottement dans l’opposition catholique à la loi Taubira.

Il y a six mois, ils avaient pourtant l’air bien motivés. Comme ils étaient fiers, en novembre dernier ! Il faut dire qu’ils avaient bien réussi leur coup. La « Manif pour tous » avait complètement éclipsé les pauvres bougres de Civitas, ce qui était aussi dommage pour eux que pour nous : pour eux, parce qu’ils avaient tout misé sur cet événement pour se lancer à la conquête de l’opinion et des municipales ; et pour nous, parce qu’ils étaient le moyen le plus rapide et le plus efficace de décrédibiliser et de ridiculiser toute opposition au mariage des couples homosexuels. Frigide Barjot les avait marginalisés, mieux : elle avait fait d’eux son faire-valoir. Elle avait réuni un nombre impressionnant de manifestants contre le projet gouvernemental, et elle réitérait l’exploit à chaque nouvelle occasion.

Aujourd’hui, où en est-on ? En apparence, les choses n’ont pas trop changé. Les « veilleurs » manifestent toujours leur opposition à la loi, mais de manière pacifique, histoire de faire oublier les débordements et les violences des manifestations traditionnelles. La grande manif du 26 mai reste prévue et espère réunir autant de monde que les précédentes. Bref, les leaders du conservatisme sociétal ont quelques arguments pour essayer de faire croire que la mobilisation ne faiblit pas.

Pourtant, je crois que c’est de moins en moins vrai. On peut remarquer plusieurs signes qui l’indiquent.

D’abord, la belle unité d’origine de la Manif pour tous est en train de se fissurer sérieusement. On le sentait venir, c’est de plus en plus net. Pour faire simple, une fracture idéologique est en train d’apparaître entre deux camps : d’une part, ceux qui rejettent la loi Taubira, mais proposent de la remplacer par une union civile qui offrirait aux couples homosexuels les mêmes droits qu’aux couples hétérosexuels, l’adoption en moins ; d’autre part, ceux qui ne veulent d’aucune forme de reconnaissance officielle pour les couples de même sexe. C’est l’opposition entre Manif pour tous et Printemps français, entre Frigide Barjot et Béatrice Bourges.

Ces deux camps partagent évidemment une certaine homophobie, ce qui a permis de les réunir dans un premier temps contre leur ennemi commun. Mais il faut bien reconnaître que leur rejet de l’homosexualité et des homosexuels n’est pas du même ordre, et je crois bien qu’in fine ils sont irréconciliables. Attention, je ne suis pas en train d’exprimer une préférence pour un camp par rapport à l’autre ! J’ai déjà écrit ici tout le mal que je pensais de la proposition d’union civile, inégalité qui ne dit pas son nom, discrimination dissimulée sous les dehors d’une fausse tolérance. À choisir, je préfère un adversaire qui s’affiche à un serpent qu’on réchauffe. Si en plus le premier a l’avantage de savoir se coiffer, il n’y a plus à hésiter. Mais blagues à part, l’essentiel est là : les opposants à la loi Taubira ne sont plus unis, le camp représenté par Civitas s’est considérablement épaissi, affaiblissant l’autre d’autant. Le coin est déjà bien enfoncé, il n’y a plus qu’à attendre – en mettant à l’occasion un peu de sel dans la plaie – pour que la cassure s’élargisse.

Ensuite, on commence à sentir une certaine gêne dans le monde catholique. Oh, je vous l’accorde, c’est encore bien ténu. Mais enfin, c’est là. Le journal La vie, qui ne représente peut-être pas la majorité des cathos français, mais qui n’est pas non plus Golias, a ainsi publié le 13 mai un article intitulé « Diaconia, un autre visage de l’Église », qui témoigne du ras-le-bol de certains croyants :

« Ils sont en effet nombreux, dans les associations et les réseaux caritatifs, à penser qu’il est temps de tourner la page sur ce sujet. “Pourquoi descendre encore dans la rue le 26 mai ?”, s’interroge Julien, 25 ans […]. À Lourdes, dans les conversations, beaucoup ont d’ailleurs dit leur ras-le-bol de voir leur Église associée à la droite ou à l’extrême droite, voire à des groupes franchement homophobes. Et ont regretté que les catholiques se soient autant mobilisés sur cette question… au détriment d’un combat qui leur paraît bien plus légitime : la lutte contre l’exclusion. »

Et d’ajouter que même Gérard Daucourt, évêque de Versailles, pourtant opposant notoire du projet gouvernemental, aurait dit : « Si les catholiques mettaient autant d’énergie à combattre toutes les formes d’exclusion dans l’Église et dans la société qu’ils en ont mis à dénoncer le mariage pour tous, il n’y aurait plus un seul pauvre à l’entrée de nos églises. »

Mais que s’est-il donc passé ? Cette évolution qui commence tout doucement à se faire sentir s’explique évidemment par plusieurs facteurs.

L’usure, déjà. Forcément, au fur et à mesure que le processus législatif suit son cours et que François Hollande ne plie pas, les militants ont tendance à se décourager. Maintenant que la loi a été votée à l’Assemblée nationale et au Sénat, il est probable que les prochaines manifestations réuniront moins de monde. À moins d’une très improbable censure du Conseil constitutionnel, de plus en plus d’opposants vont se rendre compte qu’ils ont perdu la bataille, et finiront par se lasser de manifester en vain. Il y aura toujours un noyau dur qui restera et se déchirera un peu pour savoir s’il faut devenir un parti ou un lobby, mais ça ne changera rien sur le fond.

Mais l’usure, il me semble, n’explique pas tout. Il y a autre chose. Quoi ? L’Église catholique a renouvelé son équipe de direction.

Ça vous semble sans rapport ? Je ne crois pas. Malgré leur prétention au multiculturalisme, tout le monde sait très bien que les « manifs pour tous » ont principalement rassemblé des catholiques conservateurs. En novembre dernier, ces gens pouvaient se sentir pleinement soutenus par la hiérarchie, que ce soit par André Vingt-Trois à la tête de la Conférence des évêques de France ou au plus haut niveau par Benoît XVI.

Mais depuis, les choses ont changé. Benoît XVI a été remplacé par François, André Vingt-Trois par Georges Pontier, archevêque de Marseille. Deux personnalités beaucoup moins préoccupées par la morale sexuelle, et beaucoup plus par l’attention aux pauvres. Et c’est là qu’on voit que la papolâtrie des catholiques est une arme à double tranchant : que le pape soit dépassé par les événements, comme l’était Benoît XVI, et c’est toute l’Église qui s’enlise ; mais qu’il ait une meilleure compréhension des choses, et les catholiques sont capables de se réveiller d’un coup. D’où l’affaissement prévisible des manifs pour tous, et l’arrivée de nouvelles initiatives comme Diaconia 2013, tournée vers les pauvres.

Et je me hasarde peut-être en disant cela, car personne ne l’a encore clairement exprimé, mais je crois bien que, dans la foulée de ces deux élections, un certain nombre de catholiques, y compris parmi les évêques, se réveillent avec la gueule de bois. Ils commencent à entrevoir l’étendue de leur erreur : ils ont mis tout leur honneur, toute leur énergie, toute leur crédibilité au service d’une bataille qu’ils ont perdue et qui va contribuer à éloigner encore un peu plus l’Église du Monde auquel elle doit pourtant apporter la Bonne Nouvelle, comme à chaque fois que l’Église, comme elle le fait avec constance depuis plus de 200 ans, se trompe de camp et tente de remonter le courant de l’Histoire. Je crois même qu’à l’exception des plus fanatiques, tous savent très bien que leurs prédictions apocalyptiques en cas de passage de la loi ne se réaliseront pas, et ne pourront que les ridiculiser à l’avenir.

Pour finir, je vais risquer un pari. Dieu sait qu’il n’a pas été facile, ces derniers mois, d’être catholique et favorable au mariage et à l’adoption pour les couples homosexuels. Largement regardé comme un traître des deux côtés, je me voyais reprocher d’une part mon soutien à une loi que, dans leur grande majorité, mes coreligionnaires conspuaient, et d’autre part mon appartenance à une Église rétrograde et dangereuse. Eh bien je crois que le vent est en train, très légèrement, de tourner. Je crois qu’une partie de l’épiscopat va s’apercevoir de son erreur ; au fur et à mesure qu’ils prendront conscience de s’être profondément ruinés, ils vont trouver les agités qui « ne lâchent rien », comme ils disent, de plus en plus gênants ; inversement, ils seront bien contents de pouvoir se raccrocher à ceux des fidèles qui, envers et contre tous, auront soutenu la loi Taubira, et auront refusé de se taire.

2 commentaires:

  1. Bonsoir,

    La tribune récente de Claude Dagens m'avait laissé espérer dans le même sens que vous :
    http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Le-catholicisme-intransigeant-une-tentation-permanente-par-Mgr-Dagens-2013-04-21-950824

    Mais la lettre de l'évêque du Havre, pendant quelques jours en lien sur la première page du site de la CEF comme base d'une réflexion sur les questions éthiques et sociétales (c'était le "chapeau" quand le lien était en première page), m'a fait l'effet d'une douche froide :
    http://www.eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/textes-et-declarations/message-aux-catholiques-apres-la-loi-sur-le-mariage-et-l-adoption-16483.html

    Sur le site de la CEF, le ton est aux félicitations chaleureuses aux manifestants, veilleurs et mères veilleuses.

    Frémissement ? peut-être. Pour ma part, j'ai toujours le sentiment que nous (cathos favorables à la loi Taubira) n'existons pas pour la hiérarchie. Même pas le sentiment que la hiérarchie pense que nous nous trompons, hein. Sentiment de ne pas exister. Cette indifférence me blesse profondément. Et je suis très très en colère que l'Eglise n'ait toujours pas entendu qu'elle a blessé, profondément, nombre de ses fidèles.

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