samedi 25 janvier 2014

Querelles de cloches


J’ai longtemps vécu dans un village où l’on sonnait les cloches de l’église. On les y sonne toujours, d’ailleurs, et plaise à Dieu qu’on les y sonne encore longtemps. Elles ont principalement un usage civil – on sonne l’heure, deux fois de suite à chaque heure, à une minute d’intervalle, et la demi-heure, par une seule sonnerie –, mais aussi un usage religieux – on sonne l’angélus tous les jours à midi, et bien sûr on annonce les événements comme les baptêmes, les mariages ou les décès. Comme c’est une région pleine de bon sens (souvent), on a su faire un compromis : à 22h30 retentit la dernière sonnerie, et les cloches ne se réveillent qu’à 7h – horaires assez raisonnables.

Je vivais assez près de l’église, et cela ne m’a jamais dérangé, bien au contraire. J’ai toujours trouvé cela à la fois beau (pour l’angélus) et pratique (pour les heures), sans présenter le moindre inconvénient. J’aurais adoré que l’angélus sonnât non seulement à midi, mais aussi le matin et le soir. Depuis, mes parents ont installé le double vitrage, et je peste justement de ne plus les entendre quand les fenêtres sont fermées. Les cloches sont même une des choses qui m’ont particulièrement manqué en quittant ce village. À Mamoudzou, nous avons bien le muezzin, mais outre ses horaires particuliers – il n’appelle à la prière que cinq fois par jour, mais le premier appel est à 4h15… –, pour moi ça n’a pas exactement le même charme – question d’habitude, j’en conviens.

Je ne dois d’ailleurs pas être le seul à aimer ça : Paulo Coelho, dans le prologue de son Manuel du guerrier de la lumière, fait de la sonnerie de cloches englouties sous la mer l’objet de la quête du scribe supposé du livre.

Tout ça pour dire que je ne vois vraiment pas là matière à polémique. Les différends devraient se régler de la manière la plus simple : les gens qui s’installent dans un village qui sonne les cloches devraient accepter que ce n’est pas une tradition bien gênante ; inversement, les édiles devraient reconnaître que sonner les cloches la nuit est plus gênant qu’utile. C’est donc exactement le type même du faux problème. Vous allez me dire : alors pourquoi écrire dessus ? Parce que certains en font un problème, justement.

Ainsi, pour avoir refusé la demande d’un couple qui souhaitait que les cloches se tussent au moins la nuit, le maire de la commune de Saint-Louis de Boissettes, en Seine-et-Marne, vient de se faire interdire par le tribunal administratif d’appel de Paris de les sonner tout court. Ailleurs, certains exigent le silence au nom de la laïcité, ou de leur confort – et tous ne sont pas prêts à accepter des compromis, et vont en justice pour ça.

Je trouve cela un peu triste. Dans un de ses propos, le philosophe Alain écrivait qu’il y a deux types de maisons : celles où tous les occupants s’interdisent tout ce qui peut déranger chacun des autres ; et celles où, au contraire, chacun supporte les habitudes des autres (dans la limite du raisonnable) et peut, en retour, satisfaire les siennes. Pour ma part, d’accord avec Alain, je choisis sans hésiter de vivre dans la seconde : je peux ne pas apprécier les répétitions de saxophone de mon voisin, mais si cela me permet de répéter mon chant (et s’il n’en joue pas toute la journée), je préfère lui passer sa marotte et qu’il me passe la sienne. « Il me laisse dire “merde”, je lui laisse dire “amen” », chantait Brassens. Cela n’est-il pas préférable à l’autocensure permanente ?

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