mercredi 22 janvier 2014

Sarkozy : 1 – Dieudonné : 0


Je suis anéanti : je crois bien que je viens de découvrir une injustice dans nos lois. Et, qui pis est, une injustice qui profite aux partis politiques. Franchement, qui aurait cru cela possible ?

Ça m’est tombé dessus à l’occasion de l’affaire Dieudonné. En suivant un peu la chose, je m’aperçois que ce monsieur doit au Trésor public quelque 65 000€ correspondant aux amendes auxquelles il a été condamné au pénal, et qu’il n’a jamais payées. Là, je vous sens intéressés : comment a-t-il fait pour ne pas les payer, ses amendes ? C’est sûr que l’info pourrait être utile.

Mais ne rêvez pas trop, Dieudonné semble avoir en fait savamment organisé son insolvabilité : les parts de la société qui gère les revenus de ses spectacles appartiennent à sa mère et à la compagne. En gros, alors qu’il n’est pas précisément dans le besoin, il semblerait qu’il ne possédât aucun bien en propre que la justice pourrait saisir. Un peu comme Largo Winch, quoi, en beaucoup moins cool évidemment. Il va sans dire qu’agir ainsi est (et c’est bien normal) parfaitement illégal.

Autre pratique apparemment courante de Dieudonné : faire appel aux dons de ses fans pour payer ses amendes. Et ça aussi, c’est illégal, me dit-on. La raison m’en saute moins aux yeux : je comprends bien l’intention derrière la loi, mais elle me semble si facile à contourner que je n’en vois pas franchement l’intérêt. Qu’est-ce qui pourrait légalement empêcher quelqu’un de lancer un appel aux dons pour un tout autre motif, mais qui aurait quand même pour effet de lui rembourser son amende ? Est-il raisonnable d’interdire ce qu’on ne peut pas empêcher ?

Mais bon, c’est illégal, et donc l’administration française, Valls en tête, se dit que ce serait sympa de le faire condamner pour ça aussi. Et c’est là que j’ai fait le lien – je ne sais pas si je suis le seul – avec les petits problèmes financiers de l’UMP l’été dernier. Rappel des faits : l’UMP ayant menti sur ses comptes de campagne, ces derniers ont été invalidés par le Conseil constitutionnel ; à la suite de quoi le parti a été frappé d’une sanction financière, et privé de près de 11 millions d’euros de remboursement de ses frais de campagne. Coup dur ? Ah non. Parce que Sarkozy, trop heureux d’avoir une occasion de redescendre dans l’arène, a immédiatement organisé un « Sarkothon » ; concrètement, un appel aux fans (euh, pardon, aux adhérents et aux sympathisants) de l’UMP pour qu’ils remboursent lesdits frais de campagne à la place de l’État. Aussitôt dit, aussitôt fait : en quelques semaines, les 11 millions ont été atteints.

D’où ma question : pourquoi ce qui est illégal pour Dieudonné était-il légal pour Sarko et l’UMP ? On va me dire que ce n’est pas exactement pareil. Que l’UMP n’a pas été condamné à une amende au pénal. Mais bon, dans la loi, la lettre tue, c’est l’esprit qui vivifie, pas vrai ? Or, dans les deux cas, on a un comportement contraire à la loi sanctionné par une sanction financière ; dans les deux cas, le coupable fait appel à des supporters pour que la sanction soit sans conséquence pratique pour lui ; mais contre un particulier, on engage une procédure judiciaire, alors que contre un gros parti politique, on se contente de grommeler. On ne peut pas vraiment se départir de l’idée que le gouvernement, l’administration et la justice font deux poids, deux mesures.

De manière générale, le principe même de l’amende, telle qu’elle est formulée dans notre droit, me gêne profondément. Il ne me semble pas normal que la loi fixe les amendes en valeur absolue (pour tel délit, tant d’euros d’amende), car cela créée de fait une inégalité devant la justice. Pour certains, une amende de 10 000 euros sera une véritable catastrophe qui aura des conséquences jusqu’à la fin de leurs jours ; pour d’autres, elle ne se verra même pas à la fin du mois. Cela signifie que les plus riches peuvent se permettre de faire des entorses à la loi bien plus aisément que les plus pauvres. Les amendes ne devraient donc pas être exprimées en valeur absolue, mais en proportion du revenu et du patrimoine du condamné, et remplacées par des jours-amendes pour ceux qui n’ont ni l’un ni l’autre.

Mais en attendant cette réforme qui ne viendra jamais (car les riches, évidemment, ont à la fois intérêt à l’empêcher à tout prix, et assez de moyens de peser sur les politiques pour être sûrs qu’elle ne soit jamais examinée), ou en attendant Tol Ardor où je propose qu’on fasse comme ça, il faut au moins que gros et petits soient, devant la justice et ses sanctions, aussi égaux que possible. Un ministre de l’intérieur peut difficilement engager des poursuites judiciaires contre un humoriste qui se serait fait rembourser 65 000€ d’amendes par ses fans, alors que son collègue de l’économie, contre un parti qui s’est fait rembourser 11 millions d’euros par les siens, s’est contenté de marmonner : « J’aimerais qu’on n’oublie pas qu’il s’agit d’une amende qui est payée par quelqu’un qui a fraudé. »

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