dimanche 29 juin 2014

Où je me vois forcé de défendre (un peu) Marine Le Pen contre la dictature des partis


Ça y est, le suspense est levé : Marine Le Pen et ses eurodéputés Front National ne peuvent pas, dans l’immédiat, constituer de groupe politique au Parlement européen. N’ayant pas réussi à convaincre suffisamment de collègues issus de suffisamment de pays, ils vont devoir siéger en tant qu’indépendants.

Tant mieux ou tant pis. Tant mieux, parce que ça leur enlèvera quelques moyens d’actions. Tant pis, parce qu’elle l’utilisera pour se victimiser et apparaître toujours plus comme la candidate antisystème.

Mais pour moi, l’essentiel n’est pas là. Concrètement, qu’est-ce que ça change, pour Marine Le Pen et les députés FN à Strasbourg, de ne pas avoir de groupe ? Eh bien ça change pas mal de choses. Déjà, les députés non-inscrits dans un groupe ne participent pas à l’élection du Président du Parlement européen. Ils ne peuvent pas déposer d’amendements. Ils ne sont pas représentés aux réunions des présidents de groupes, qui fixent l’ordre du jour. Ils n’ont quasiment aucune chance d’obtenir des postes particuliers. Enfin, et surtout, ils sont largement privés de la manne financière : un député isolé touche, en plus de son salaire et de ses indemnités, environ 40 000€ par an pour son « information politique » ; un groupe d’une trentaine de députés touche à peu près 3 millions d’euros par an, soit une moyenne de 100 000€ par tête.

Il faut déjà remarquer une chose : tout cela n’est absolument pas démocratique. Un député qui ne parvient pas à s’inscrire dans un groupe politique n’est pas moins que les autres un représentant du peuple qui l’a élu, et du peuple européen en général. Soyons plus concrets : il n’est absolument pas démocratique que le parti qui a remporté les élections dans le deuxième pays le plus peuplé d’Europe ne participe pas à l’élection du Président du Parlement européen. Par comparaison, le Front de Gauche, qui a obtenu environ 6% des voix en France (là où le FN en a engrangé quatre fois plus, plus de 24%), va, lui, participer à cette élection.

Moi après tout, que ce ne soit pas démocratique, je m’en tamponne l’oreille avec une babouche, puisque de toute manière je ne suis pas démocrate. Mais quand on l’est, démocrate, surtout si on est un européiste convaincu, il y a là quelque chose qui devrait nous heurter violemment.

Cette affaire illustre à merveille une des caractéristiques de notre démocratie, à savoir le fait qu’elle est très largement une dictature des partis (en plus d’être celle des lobbies et celle des incompétents). Les partis politiques sont au centre du jeu, tout passe par eux, rien ne se fait sans eux. Imaginez-vous qu’on puisse être élu à un poste vraiment important (député, Président de la République) sans passer par ces appareils et être adoubé par eux ? Inimaginable ! Sans le soutien financier d’un parti, personne n’a la moindre chance d’être élu. Et encore, c’est moins vrai en France que dans d’autres pays, comme les États-Unis, où les partis sont libres de dépenser autant qu’ils veulent pour une campagne électorale : on assiste alors à des débauches de moyens qui font que, plus encore que chez nous, le plus riche est à peu près assuré d’être élu.

Il y a là une dérive grave de notre système politique, car cela empêche absolument l’émergence des idées neuves : pour être entendu, il faut passer par un parti, de préférence un gros ; pour entrer, et surtout pour monter dans le parti, il faut avoir des idées en conformité avec l’idéologie et la stratégie électorale du parti. La boucle infernale du conservatisme éternel est bouclée.

On va me dire que cette dérive est conjoncturelle, pas structurelle ; que la vraie démocratie, ce n’est pas cela ; que dans la vraie démocratie, les partis soit n’existent même pas, soit sont totalement vertueux, soit sont contrôlés efficacement et en permanence par leur base ; que dans la vraie démocratie, les partis ont été remplacés par la démocratie directe, ou par le tirage au sort, etc.

Franchement ? J’ai des doutes. Je trouve que ça commence à faire beaucoup de choses qui ne devraient pas exister dans la « vraie » démocratie mais qui existent quand même dans la démocratie qu’on a et qu’on a toujours eue. C’est quoi, finalement, la « vraie » démocratie ? Je crains bien que ce soit celle-ci, celle qui existe, et que la « fausse » démocratie soit le régime idéal que certains imaginent toujours, je ne sais trop sur quelles bases, réalisable.

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