mercredi 2 juillet 2014

Cuisine et dépendance (aux applis)


Les applis, je n’en ai jamais utilisé, n’ayant pas de smartphone, mais ça a l’air de faire un tabac, parce que tout le monde semble en avoir et en parler. J’ai fini par comprendre à peu près le principe, et je n’ai pas aimé.

Surtout quand j’en ai découvert des assez étonnantes. Un article du Monde en référence quelques-unes : celle qui vous permet de manger équilibré toute la semaine, celle qui vous permet de gérer vos listes de courses, celle qui vous permet de caler vos achats sur les saisons, celle qui vous permet de ne pas servir deux fois les mêmes plats aux mêmes invités… À chaque fois, l’intention est (plus ou moins) louable. Oui, les gens mangent mal, l’obésité devient un vrai problème de société ; oui, ils mangent hors-saison, et ce n’est pas bon pour la nature. D’accord.

Il n’y a pas très longtemps, j’avais entendu parler de celle qui vous avertit avant que la nourriture dans votre frigo ne se périme, du style « Attention, votre mâche de Rotterdam sera périmée dans deux jours ». Là encore, quand on pense que chaque Français jette en moyenne 20Kg de nourriture périmée ou non consommée chaque année (oui, 20Kg en moyenne, donc 1,3 million de tonnes chaque année pour toute la France, dans un monde – et un pays – où tant de gens ont faim, voire meurent de faim), on se dit que l’intention est louable.

Mais l’appli, est-ce vraiment la solution ? N’y a-t-il pas un risque à se décharger sur la machine de ces petits efforts intellectuels ? Car enfin, on parle quand même de pas grand-chose : un peu de mémoire (« Qu’est-ce que j’ai servi aux Durand-Rodel la dernière fois ? »), un peu d’anticipation (« Il faut que je pense à me faire rapidement une salade de mâche de Rotterdam »), un peu d’imagination (« Comment varier mes repas cette semaine ? »), un peu d’organisation (« Si j’achète mon poisson aujourd’hui, je pourrai encore le manger demain, et après-demain je passerai au marché acheter des fruits frais »), ce n’est quand même pas la mer à boire.

Comme tous les organes vivants, le cerveau est un outil qui s’use si on ne s’en sert pas. À force de nous passer de notre mémoire, de notre faculté d’anticipation, de notre imagination, de notre sens de l’organisation, tout ça parce qu’on peut se reposer sur la machine, ce sont des qualités que nous risquons réellement de perdre, ou au moins de voir régresser sensiblement. Ce n’est pas le moindre danger de la technique moderne : parce qu’elle est toujours plus puissante, nous sommes toujours plus dépendants d’elle. Non seulement cette dépendance est en soi (comme toute dépendance) un problème, mais elle présente un risque réel d’amoindrissement physique et intellectuel de l’homme.

Nous sommes ici au cœur de la folie transhumaniste : nous commençons à réfléchir à la manière « d’améliorer » l’être humain par la technologie, en lui greffant des yeux qui verront plus loin, des muscles qui auront plus de force, voire par des manipulations génétiques, alors même que la technique est justement ce qui, déjà, diminue les facultés physiques et mentales que nous avons naturellement. Nous ne gagnerons rien à lâcher la proie pour l’ombre !

Dans un entretien donné à Télérama, l’auteur de science-fiction Alain Damasio avait compris et analysé tous ces problèmes de manière lumineuse. Je vous invite à le lire. Et, accessoirement, à vous pencher un peu sur l’écologie radicale, courant politique certes ultra-minoritaire, mais qui est le seul à penser cette dangereuse évolution, et à tenter quelque chose pour la contrer.

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