mardi 30 décembre 2014

Médecins, acceptez le salariat !

D’ordinaire, j’ai tendance à soutenir les grèves. Et j’aime beaucoup les médecins, ils me sécurisent, et puis ma famille en est pleine. Et pourtant, je dois dire que la leur, de grève, me laisse assez de marbre.

Il y a quelques mois, j’avais écrit un article dont je ne retirerais pas une ligne aujourd’hui. Les médecins assurent un service public, ils sont payés par la Sécurité sociale, donc in fine par l’État, ce même État qui leur garantit la sécurité de leur emploi et de leurs revenus ; ils devraient donc logiquement, avec d’autres professions libérales – les pharmaciens, les avocats etc. – devenir pleinement des fonctionnaires. Ils en ont déjà les avantages, il faudrait qu’ils en assument les inconvénients. Cela ferait faire des économies à l’État et surtout réduirait les inégalités entre les territoires et entre les classes sociales. Et le principal argument pour qu’ils restent une profession libérale, à savoir l’efficacité de leur travail, n’est pas bon, puisque les membres d’autres professions, tout en étant fonctionnaires, font plutôt du bon boulot.

Pourquoi écrire un nouvel article ? Parce que certains arguments me semblent assez forts pour être relevés.

Premier point qui ne passe pas : la généralisation du tiers-payant. Pour ma part, je suis favorable, dans un système idéal où les médecins seraient des fonctionnaires, à ce que les patients ne payent rien, rien du tout. On me répond qu’il faut les responsabiliser. Ce sont deux conceptions de la médecine qui s’affrontent : pour moi, la médecine n’a pas à responsabiliser le malade. Ce n’est pas à elle de le faire, ce n’est pas dans le cadre du traitement qu’il faut le faire, et surtout ce n’est pas par l’argent, donc par le biais le plus inégalitaire qui soit, qu’il faut le faire. Le médecin n’a pas à responsabiliser le patient en le faisant payer, de même qu’un médecin (ou l’État) n’a pas à refuser les soins à un cancéreux qui se serait remis à fumer. Les soins sont un droit et un dû.

Second point : des revendications portant sur la considération sociale. Ainsi, un récent article du Monde (édition du 23 décembre dernier) était intitulé : « Notre métier est sabordé, décrédibilisé ». Ah. Jusqu’ici, j’avais plutôt l’impression que, dans la société française, le médecin restait un notable. Bien plus que, mettons, un professeur. S’ensuivent des critiques sur les patients qui ont « un incroyable degré d’exigence », deviennent « agressifs pour rien, savent tout puisque Internet l’a dit, ne remercient guère quand on les sauve mais savent hurler à la première broutille ». Là encore, voilà des points que nous autres enseignants pourrions reprendre très exactement. Bien sûr que les gens sont devenus mal élevés ! Bien sûr qu’Internet a tendance à brouiller les rapports humains ! Il n’y a rien là qui soit propre à la médecine ; c’est une révolution anthropologique bien plus profonde qui est en cours.

Viennent enfin les revendications salariales. La consultation est fixée à 23€ depuis 2011. Tiens, coïncidence : le point d’indice des fonctionnaires est également gelé depuis 2011. Bertrand Caudal, médecin lyonnais qui accepte de témoigner pour Le Monde, donne des chiffres : il assure 25 consultations par jour pour un salaire d’environ 5500€ net par mois. Il lui reste la décence de reconnaître qu’il s’agit d’un « beau salaire » et de dire qu’il « ne se plaint pas ».

En effet ! D’autant qu’en admettant qu’il passe en moyenne 20 minutes avec chaque patient, ça lui fait une journée de 8h20. Une longue journée, je le reconnais. Mais il affirme également que « si on pouvait faire 15 actes par jour, il n’y aurait pas de malaise ». Que ne les fait-il ? Si je pose bien ma règle de trois, ça lui ferait encore 3300€ par mois ; on vit, quand même, avec ça !

Les autres chiffres avancés par l’article sont aussi éloquents. Les généralistes ont un revenu moyen annuel de 76 600€, les spécialistes de 121 000€. Je sais qu’ils travaillent tous énormément, mais enfin, s’ils travaillaient tous deux fois moins, ils gagneraient encore, respectivement, 38 300€ et 60 500€ par an : ça resterait très confortable, et pour un travail tout à fait supportable ! On a donc un peu de mal à les plaindre vraiment.

Bon, cette tempête rageuse étant passée, je rassure mes amis médecins : au fond, tout au fond, je suis d’accord avec eux. C’est vrai, avec l’importance de leur fonction, avec les responsabilités qu’ils ont, ils mériteraient de continuer à gagner le même salaire en travaillant deux fois moins. Et on aurait les moyens de le faire ! Si Liliane Bettencourt dépensait un million d’euros par jour, il lui faudrait 76 ans pour épuiser tout son patrimoine : qu’on ne me dise pas que l’argent n’est pas là ! Une meilleure répartition des richesses permettrait donc sans grande peine d’accéder à leurs justes revendications (tout en faisant d’eux des fonctionnaires, parce que ce n’est pas moins juste ou moins nécessaire pour autant, mais des fonctionnaires très bien payés).

Mais si leurs revendications me semblent au fond si justes, pourquoi ai-je l’air si fâché ? Parce que j’aimerais bien leur faire comprendre, à mes amis médecins, qu’on aurait plus de facilité à compatir et à lutter pour eux si on les entendait davantage faire pareil pour nous. C’est très bien, de dire qu’ils ne sont pas assez payés pour le travail qu’ils font ; mais on aimerait les voir davantage investis à dire que c’est vrai aussi pour la plupart des autres métiers.

On peut penser que ce n’est pas grand-chose, cette solidarité, cette compassion réciproque, ce combat partagé ; mais c’est comme ça que se font les luttes sociales : en commun.

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