dimanche 20 décembre 2015

Nouveau missel, vieilles idées

Père évêque,

La traduction française du missel romain publié en 2002 avance apparemment à grands pas ; mais avance-t-elle dans la bonne direction ? Catholique pratiquant, je dois vous faire part de mon inquiétude.

Pour mémoire, c’est dans une instruction de 2001 que la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements avait exigé que le missel fût retraduit « intégralement et très précisément, c’est-à-dire sans omission ni ajout ». Ladite Congrégation ne prenait visiblement pas la chose à la légère, puisqu’elle avait rejeté en 2007 une première proposition.

Ils avaient évidemment bien raison de ne pas prendre le sujet à la légère. Cela étant, on peut s’interroger sur la pertinence de ce rappel à l’ordre. Que traduit-il ? À l’évidence, une volonté centralisatrice et unificatrice : tous les catholiques, sur toute la planète, sont appelés à participer à la même messe très exactement ; exception faite de la langue, aucune adaptation au contexte local, aucune expression des particularismes continentaux, nationaux ou régionaux.

Est-ce une bonne chose ? Je ne le crois pas. « Il y a de nombreuses demeures dans la maison de mon Père », nous disait Jésus ; n’est-il pas bon que les Églises locales ou nationales puissent, tout en suivant le cadre général de la messe universelle, y apporter des adaptations en fonction de leur culture, de leurs coutumes, de leurs traditions ?

Et ce qui est valable pour les rites l’est également pour la morale, pour la discipline ecclésiastique, et même pour certaines croyances. L’universalité du catholicisme ne devrait pas être comprise comme une uniformité ; de même que l’équité n’est pas forcément l’égalité, l’universalité de l’Église ne pourra pas survivre à long terme si elle ne parvient pas à se décliner au pluriel et à faire vivre une réelle diversité en son sein. Tol Ardor avait fait une proposition dans ce sens.

L’Église a un besoin impérieux d’une réelle décentralisation. Ce que dit le pape François, depuis plusieurs mois maintenant, va dans ce sens. Dans ce contexte, les exigences de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements apparaissent comme anachroniques et, pour tout dire, à contre-courant de l’Histoire.

C’est d’autant plus vrai qu’en plus de la volonté d’uniformisation, les évolutions considérées sont en elles-mêmes inquiétantes. Passe encore pour la nouvelle traduction du « Notre Père », qui, au moins, ne change pas le sens du texte original. Mais remplacer « oui, j’ai vraiment péché » par l’ancienne formule « c’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande faute » était-il nécessaire ? Les sciences humaines aussi bien que la philosophie nous ont appris que la question de la responsabilité de l’individu face au mal qu’il commet ne saurait être réglée entièrement par cette formule lapidaire. Le simple constat de la faute commise n’était-il pas plus intéressant ? Ne laissait-il pas un champ plus large à l’interprétation et à la réflexion personnelle de chacun ?

De même, pourquoi supprimer la magnifique formule « pour la gloire de Dieu et le salut du monde » dans la prière sur les offrandes ? « Pour la gloire de Dieu et le salut du monde » : n’est-ce pas le plus parfait résumé du but de toute l’action chrétienne, et donc, a fortiori, de toute la liturgie ? Et pour la remplacer par quoi ? « Pour notre bien et celui de toute Sa Sainte Église » ! Doux Jésus, comment cette idée a-t-elle seulement pu germer dans l’esprit d’un chrétien ? Quel message cette phrase fait-elle passer ! « Prions pour nous et pour notre religion – les autres, ils peuvent crever. » Quel concentré d’égoïsme, d’égocentrisme et de fermeture d’esprit !

Je suis d’accord avec le cardinal Arinze, préfet de la Congrégation pour le culte divin, pour dire qu’il faut éviter une « banalisation du sacré ». Il a raison de dire qu’un prêtre ne doit pas accueillir l’assemblée des fidèles en disant : « Bonjour à tous, j’espère que vous avez bien dormi ». Mais il faut faire œuvre de discernement entre ce qui est de l’ordre de la banalisation et ce qui est une adaptation locale préservant le sens du sacré. « Pour la gloire de Dieu et le salut du monde » n’est effectivement pas une traduction du texte latin, mais il n’y a aucune banalisation du sacré là-dedans ; et, je crois l’avoir montré, sur ce point précis, le texte français actuel est moralement et théologiquement supérieur à l’original latin.


Au printemps prochain, l’Assemblée des évêques de France se réunira pour dire « oui » ou « non » à cette nouvelle traduction, qui pourrait entrer en vigueur dans les paroisses dès le début du Carême de 2017. En l’état actuel des choses, et s’il n’est plus possible de revenir sur ces points importants, je vous demande, pour préserver la paix et l’unité de l’Église de France, de répondre « non ».

3 commentaires:

  1. Un soir, au diner, une de nos fille demande : vous avez une réunion à la paroisse ce soir ? ...oui ... Ouais, je sais, c'est pour la Gloire de Dieu et le Salut du monde, mais tout de même !!! Elle avait 11 ans. jamais elle n'aurait pu dire "c'est pour notre bien et celui de la Sainte eglise" !!! Bravo pour ce commentaire ...

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  2. oui, bravo pour ce commentaire! je co-signe des deux mains et du fond du coeur chacun de ces mots.

    j'ai déjà du mal à continuer d'aller à la messe du fait d'un retour en force d'une liturgie rigide et du latin dans ma paroisse et dans mon diocèse...alors si en plus la version française perd de sa saveur...je ne sais pas si j'aurais la force de rester dans l'Eglise catholique...

    le missel et les paroles d'un rituel écrits à un autre âge sont-ils donc Parole d'Evangile qu'il ne faille en changer une virgule?
    je suis effarée par cette tendance à sacraliser et rigidifier des formules toutes faites, comme si leur formulation avait un pouvoir magique... Il me semble que c'est revenir à des rites incantatoires...que c'est vouloir enfermer la vérité et la puissance de Dieu, de son Esprit, dans des mots qui seuls en seraient les garants et les dépositaires...
    c'est un retour vers une foi idolâtre de mon point de vue, où l'homme (ou plutôt certains hommes!) façonnent Dieu à leur image et à leurs pensées au lieu de se laisser façonner par Lui.

    Viens Esprit Saint, viens en nos coeurs : rends droit ce qui est faussé, assouplis ce qui est raide, réchauffe ce qui est froid, lave ce qui est souillé, baigne ce qui est aride, guéris ce qui est blessé...
    Viens Esprit Saint, remplir jusqu'à l'intime le coeur de tous tes fidèles, et en particulier celui des évêques et des cardinaux qui gouvernent notre institution, afin que par chacun de nous tu achèves toute sanctification dans le monde...

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  3. la liturgie est:
    1- évolutive: elle n'a pas été toujours telle que nous la connaissons, donc elle peut continuer à évoluer
    2- plurielle: elle a été diverse dès les origines, il y a eu trè tôt plusieurs liturgies locales, donc nous pouvons la penser localement
    3- La liturgie est, notamment, le lieu de la rencontre des humains et de Dieu, lieu d'expression mutuel et de partage et, surtout, un mode d'expression qui crée la réalité de ce qu'il dit, donc il importe que les humains puissent s'y reconnaitre, puissent vibrer et s'exprimer.
    4 - la liturgie n'est pas un formulaire de rites magiques. Dieu nous comprend même si nous nous taisons, à fortiori si nous mettons nos mots pour lui parler. C'est croire que nous sommes bien puissants que de croire que notre façon de faire les choses oblige Dieu, vous ne croyez pas?

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