dimanche 24 janvier 2016

Si Taylor Lautner voulait bien me filer son corps, histoire que je puisse y greffer ma tête…


Dans That Hideous Strength, troisième et dernier volet de sa Trilogie cosmique, C.S. Lewis, auteur des Chroniques de Narnia et grand ami de J.R.R. Tolkien, avait imaginé un laboratoire monstrueux au cœur duquel des scientifiques maintenaient en vie la tête coupée d’un homme guillotiné afin qu’elle pût être possédée et animée par une force démoniaque.

Plus près de nous, la série télévisée Dollhouse imaginait un autre merveilleux progrès : la possibilité de traiter le cerveau humain comme un simple disque dur, par exemple pour le vider des données qu’il contient et les remplacer par d’autres, extraites d’un autre cerveau : un moyen comme un autre de devenir immortel, et en plus en ayant le choix du corps dans lequel on va poursuivre l’existence (viens là, Taylor). Jusqu’à ce qu’à son tour, il se dégrade, nous forçant à en choisir un autre et à prendre possession de son cerveau. Réjouissante perspective, non ?

Une fois de plus, la réalité de la civilisation techno-industrielle rattrape peu à peu la fiction. Après de nombreuses expériences réussies sur des souris, une équipe de chercheurs chinois a réussi à greffer la tête d’un singe sur le corps d’un autre – il serait d’ailleurs plus rigoureux de dire que c’est le corps qui a été greffé sur la tête, non l’inverse. Les auteurs affirment tenir la preuve que ce type de transplantation est « prêt pour les humains ». Miam.

Évidemment, tout n’est pas parfaitement au point. Le singe greffé a été maintenu en vie pendant vingt heures – on est encore loin de l’immortalité. Mais personne ne peut sérieusement nier que les progrès seront rapides. On peut imaginer que, d’ici quelques décennies au plus, la greffe tiendra sans limitation de durée. Les expériences sur les cadavres humains ont d’ailleurs déjà commencé, toujours en Chine – on ne soulignera jamais assez les avantages d’une bonne vieille dictature communiste pour le progrès scientifique et technique.

Sergio Canavero, un des membres de cette fine équipe, estime qu’il s’agit d’une « vraie victoire pour l’humanité ». Il pense, par exemple, à refaire marcher les tétraplégiques. Sans nier ce genre d’intérêts éventuels, j’avoue être beaucoup plus sceptique. Bien sûr, ça n’offre pas la solution de l’immortalité : la greffe de corps n’empêchera pas le vieillissement du cerveau, et donc, à terme, la mort. Mais ça offre tout de même des solutions de survie dans tout un tas de situations : cancer sans métastase au cerveau, problèmes cardiaques, dysfonctionnements divers… Or, qui pourra servir de donneur ? Peu de gens : il faudra des gens en état de mort cérébrale, mais dont le corps est en parfait état ; ce n’est pas si commun.

Autrement dit, la demande excédera immédiatement l’offre, et de très loin. Dans ces conditions, comment imaginer que les riches, les politiciens, les élites, voire les chercheurs, bref tous ceux qui auront les moyens économiques, politiques ou techniques de profiter de cette chance, ne céderont pas à la tentation ? Comment garantir qu’on n’ira pas de servir dans les prisons, dans les bidonvilles ou chez les marginaux ? Voire que des gens ne seront pas spécialement élevés pour servir de donneurs, façon Auprès de moi toujours ?

Les problèmes éthiques couramment envisagés à propos de ce genre d’expériences biotechnologiques sont donc bien plus importants que les simples questions usuelles (« Quelle est l’identité de la personne qui a sa tête mais le corps d’un autre ? » ; « Dans quelles conditions a-t-on le droit de disposer d’un corps cliniquement mort ? » etc.) : une fois de plus, la puissance technique de l’humanité dépasse, et de plus en plus loin, son niveau d’avancement moral et spirituel.

Ça n’augure rien de bon, vous pouvez m’en croire. Décidément, la belle humeur dans laquelle Sarko m’avait mis n’aura pas duré longtemps.

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