dimanche 27 mars 2016

La Promesse de Dieu à l’humanité – Homélie pour le dimanche de Pâques


La Conférence Catholique des Baptisés Francophones avait lancé il y a quelques années un chantier intitulé « la Promesse », qui visait à interroger tous les baptisés sur cette question centrale : pour vous, quelle est la Promesse que Dieu fait à l’homme en Jésus ?

Cette interrogation ne trouve évidemment sa réponse qu’à travers l’ensemble de la vie du Christ. Toute la vie de Jésus, et tout le texte des quatre Évangiles qui la racontent, peuvent être résumés en un message central : « Dieu est Amour ». L’immense force du christianisme réside à mes yeux pour une grande part dans la simplicité de ce message : tout tient en trois mots, et tout le reste découle de ces trois mots. « Dieu est Amour » est, pour un chrétien, à la fois le résumé de ses croyances, le socle de sa morale, et l’abrégé de tous les textes sacrés ou inspirés. C’est d’abord cela, la Promesse de Dieu aux hommes dans le Christ : Il nous promet qu’Il est Amour.

Affirmer que Dieu est Amour, c’est croire qu’il n’y a pas de plus grande force que l’Amour, et que non seulement les hommes, mais l’univers entier, ont été conçus et créés par l’Amour, dans l’Amour et pour l’Amour ; ce qui signifie évidemment qu’ils ne peuvent trouver et leur bonheur, et leur accomplissement, que dans l’Amour. C’est croire que le monde de l’Amour viendra, et qu’il ne nous appartient que de hâter ou de retarder sa venue. Voilà pour les croyances.

Affirmer que Dieu est Amour, c’est également faire sien le double commandement suprême du Christ : « “Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée.” C’est là le grand, le premier commandement. Un second est aussi important : “Tu aimeras ton prochain comme toi-même.”[1] » Notre seule mission dans le monde, c’est de répandre l’Amour, avec l’aide de Dieu, toujours présent avec nous. Aimer Dieu, d’abord ; ou, pour ceux qui ne connaissent pas Dieu, aimer le Bien, puisque de même que Dieu et l’Amour ne sont qu’une seule et même chose, Dieu et le Bien ne sont également qu’une seule et même chose. Il est donc possible d’aimer Dieu sans en avoir conscience et sans même Le connaître en aimant et en faisant le Bien. Aimer les autres, ensuite ; tous les autres : bien sûr pas seulement ceux qui nous aiment ou nous sont semblables, mais également ceux qui nous haïssent ou sont différents de nous. Mais au-delà de cela, ne pas aimer que les hommes, mais embrasser dans l’Amour ceux qui sont encore plus différents de nous, les êtres vivants non humains. S’aimer soi-même, enfin, tant il est vrai que le christianisme devrait être éloigné de la vision rigoriste, doloriste et puritaine qu’en ont certains – car comme l’écrivait C.S. Lewis dans Tactique du Diable, « Dieu est un hédoniste ». Et voilà pour la morale.

La voilà donc, la réponse à notre question ; la voilà donc, la Promesse que Dieu fait à l’homme en Jésus-Christ : Dieu est Amour, Dieu n’est qu’Amour, et tout Amour est de Dieu. Mais le sceau de cette réponse et de cette Promesse se trouve dans le dimanche de Pâques. Car sans la Résurrection, nous ne pouvons pas voir de Promesse de Dieu aux hommes ; nous ne voyons qu’une vie particulière, celle de Jésus, certes extraordinaire – cela, même un non croyant peut le reconnaître –, mais qui s’achève dans un échec, celui du Vendredi saint et de la crucifixion. Dans le Vendredi saint, le mal, c’est-à-dire les forces qui s’opposent à l’Amour, semble triompher. Il ne peut alors pas y avoir de Promesse de Dieu aux hommes ; tout au plus un espoir.

Ce n’est que dans la Résurrection du dimanche pascal que Dieu fait aux hommes Sa Promesse. Il promet qu’Il existe, puisque la Résurrection ne s’explique pas sans cela ; Il nous promet qu’une vie entièrement menée dans l’Amour ne s’achève pas à la mort, mais renaît dans l’éternité ; enfin, Il nous promet qu’Il nous aime, tous, et inconditionnellement. Il nous promet donc que, derrière le rideau de la mort, obscur et sans retour, non seulement il n’y a pas le néant, mais qu’encore il n’y a pas d’enfer ou de damnation éternels, dont la possibilité même est détruite par l’Amour infini de Dieu révélé en la Résurrection. C’est en ce sens qu’on peut dire que, par sa Résurrection, le Christ « brise les portes de l’enfer ».

On ne saurait mesurer à quel point cette Promesse est merveilleuse. Au-delà de ce que nous vivons en ce Monde, il s’agit, ni plus ni moins, de la promesse d’un bonheur éternel dans l’Amour, pour tous.

Évidemment, nous ne sommes pas comme les premiers disciples du Christ, et nous n’avons pas été témoins de la Résurrection. Pour nous, il s’agit donc forcément d’un acte de foi. Les premiers disciples de Jésus savaient ; nous, nous ne pouvons que croire. Il n’en reste pas moins que la Promesse demeure, même si tous ne peuvent peut-être pas l’entendre.

Ce qui appelle une autre question, non moins importante : est-ce ce qui fait que cette Promesse n’est plus reçue dans le monde d’aujourd’hui ? Car elle n’est plus reçue, ou de moins en moins, il ne sert à rien de se voiler la face ; bien plus, on pourrait dire qu’elle est devenue inaudible. Comment un message de cette importance, porteur d’un espoir aussi démesuré, a-t-il pu à ce point s’éteindre ?

À cela, je crois qu’il faut apporter une double réponse. Nos sociétés ont une part de responsabilité dans cet oubli qui est aujourd’hui une composante de leur malheur. Après les sociétés de l’Antiquité et du Moyen-âge, tout entières tournées vers la collectivité, la communauté, le bien commun, au détriment des individus et de leurs droits fondamentaux, encore ignorés, la Modernité a redonné son importance à la personne individuelle. Ce grand mouvement, entamé à la Renaissance, a trouvé un certain accomplissement dans les Lumières. Mais il a ensuite engendré ses propres excès avec la Révolution industrielle et ses conséquences politiques, économiques, sociales et culturelles. Nous sommes tombés dans l’extrême inverse : tout accorder à l’individu, au détriment du bien commun et de la collectivité, voire de la Terre et de la vie de manière générale.

Plus grave encore, la civilisation techno-industrielle a généré une confusion fatale entre niveau de vie et qualité de vie, entre avoir et bien-être, entre confort matériel et bonheur. Non seulement on a fait croire aux individus qu’ils ne devaient penser qu’à s’accomplir eux-mêmes, sans souci des autres ou de la nature, mais on leur a surtout fait croire qu’ils ne pourraient le faire que dans la consommation de masse et dans l’accumulation des biens matériels. D’un simple moyen – car les biens matériels sont effectivement nécessaires à une vie heureuse –, on a fait une fin en soi, et bien pire, l’unique fin en soi.

Ce renversement de valeurs a pu suffire, historiquement, à faire oublier Dieu, et à déconsidérer la Promesse dont nous parlons. La Crise multiforme que le monde a commencé à traverser depuis les années 1970 (crise économique d’abord, sociale ensuite, écologique et politique de plus en plus), et qui ne fera qu’empirer, met de plus en plus de gens en situation de grande précarité et même de danger, les frustrant de ces biens matériels qu’on leur a appris à considérer comme le but ultime de toute existence. Cela peut sembler paradoxal, car jamais l’humanité n’a bénéficié d’une telle abondance de biens matériels ; mais ce niveau de vie jamais atteint auparavant s’accompagne aujourd’hui d’inégalités également inégalées dans l’histoire, du chômage de masse, donc de précarité, d’inquiétude et de stress permanents. La peur talonne un nombre sans cesse croissant de personnes, et cette peur du déclassement social – ou, pour beaucoup qui sont déjà en bas de l’échelle, la peur des échéances de la fin du mois – rend encore plus impossible de se concentrer sur des réalités spirituelles.

Nos sociétés ne sont cependant pas les seules coupables ; nos Églises aussi portent également une part de responsabilité dans l’oubli de la Promesse de Dieu, car elles ont-elles-mêmes contribué à saper leur crédibilité. C’est spécialement vrai de l’Église catholique, qui a fait à peu près tout ce qui était en son pouvoir pour perdre le plus de fidèles possible. Elle a commencé une lutte perdue d’avance contre tous les progrès scientifiques, avant d’admettre sa défaite, trop tard hélas. Elle s’est ensuite acharnée à soutenir les régimes politiques les plus injustes et oppressifs qu’elle pouvait trouver, de l’Ancien régime français à la dictature franquiste. Aujourd’hui, enfin, elle ferraille dans des combats d’arrière-garde sur la morale sexuelle et familiale ; dans ces batailles, non seulement elle se trompe sur ce qui est véritablement important, non seulement elle ne peut connaître qu’une défaite qui atteindra encore un peu plus sa crédibilité, mais encore, sur la plupart de ces questions, elle se trompe et mène un combat contre le Bien qu’elle croit servir.

Il appartient donc aux chrétiens de changer le monde, et même de sauver le monde : en disant cela, je pèse mes mots, et j’affirme que c’est bien à cela que la Résurrection du Christ nous appelle. Mais il nous appartient aussi de changer nos Églises et de les corriger quand elles doivent l’être. C’est à nous qu’il appartient de faire entendre au Monde la Promesse que Dieu fait à l’humanité en Jésus-Christ ; encore faut-il nous rendre audibles auprès de ce Monde, ce qui implique d’être auprès de lui, à son chevet dans ses véritables épreuves, et de parler le même langage que lui.

Aux Ardoriens, bonne année. À tous, joyeuse Pâques.




[1] Évangile selon Matthieu, 22, 37-39, traduction œcuménique de la Bible.

mercredi 23 mars 2016

Le Parti unique à l’épreuve de ses propres conneries


Notre démocratie représentative n’est évidemment pas – encore – un totalitarisme, sans quoi je ne pourrais même pas publier ces lignes. Si l’on peut parler de « Parti unique » pour qualifier l’échiquier politique actuel, ce n’est donc bien sûr pas dans le même sens qu’on pouvait le faire dans les véritables totalitarismes, où tous les partis étaient interdits pour de bon, exception faite de celui qui tenait le pouvoir.

Pourtant, il y a bien quelque chose du parti unique dans notre société. Comme je l’ai démontré ici ou , il y a de moins en moins de différences entre les partis dits de gauche et les partis dits de droite, à l’exception de leurs extrêmes. Le PS, la nébuleuse centriste et LR ont en commun de vouloir conserver, fondamentalement, le cadre politique (la démocratie représentative) et économique (le capitalisme libéral) actuel. Les partis dits extrémistes (même si « radicaux » serait probablement préférable), eux, veulent en sortir (je ne me prononce pas sur les intentions du FN, qui me semblent en la matière particulièrement obscures).

Ce rapprochement idéologique entre la « droite de gouvernement » et la « gauche de gouvernement » se voit particulièrement bien dans le fait que les politiques qu’ils mènent quand ils sont au pouvoir sont de plus en plus indifférenciables. Même les sujets de société les opposent de moins en moins : c’est le PS qui a fait la loi Taubira, mais soyons honnêtes, LR auraient pu faire à peu près la même chose (au Royaume-Uni, ce sont les conservateurs qui ont fait le mariage homosexuel, et franchement, ils ne sont pas plus futés que les nôtres) ; d’ailleurs, l’opposition de la droite à cette loi a été purement opportuniste, et non pas motivée par de réelles convictions, comme le prouvent les retournements de veste en série qui ont eu lieu depuis. Comme je le disais dernièrement dans un autre billet, finalement, ce qui distingue en France le centre, le centre-gauche et le centre-droit, c’est de plus en plus une clientèle, de moins en moins des idées ou une politique.

La prochaine présidentielle pourrait d’ailleurs rendre cet état de fait plus visible ; un bon score de l’extrême-droite pourrait bien donner naissance à une nouvelle alliance politique allant, mettons, de Hollande à Sarkozy, en passant par Macron, Valls, Bayrou, Juppé, Fillon et j’en passe. Un tel rassemblement se heurterait naturellement à l’histoire et aux préjugés de chacun, mais serait idéologiquement bien plus cohérent que l’actuel PS, déchiré entre une aile droite et une aile gauche qui n’ont plus grand-chose en commun (mis à part des intérêts électoraux – et c’est certes déjà beaucoup).

Or, ces partis « de gouvernement » sont, par définition, les seuls qui peuvent espérer gouverner. Les partis radicaux, eux, se heurtent à un plafond de verre plus ou moins rapproché qui les empêche d’accéder aux responsabilités (j’ai du mal à croire que, dans l’état actuel des choses, même Marine Le Pen puisse être élue à la présidence de la République sans avoir auparavant profondément adouci au moins son discours pour le faire ressembler, justement, à celui des partis de gouvernement). C’est en ce sens qu’on peut parler de parti unique pour notre démocratie : ce sont toujours les partisans des mêmes idées qui se retrouvent aux commandes ; et manque de bol, ce sont les partisans d’idées débiles qui font la preuve de leur échec depuis des décennies.

On se rend tout particulièrement compte et de leur proximité, et de leur bêtise, à l’occasion des attentats terroristes. Les attentats de Bruxelles, pour tristes qu’ils soient, sont tout sauf une surprise ; on ne court pas un grand risque en affirmant que la série noire va continuer. Les causes profondes du terrorisme sont toujours là, et pour longtemps ; or, assurer la sécurité de tous est parfaitement impossible. Qu’on mette des portiques à l’entrée des aéroports, et plus seulement des salles d’embarquement, il y aura des files d’attentes devant ces portiques, et c’est là que se feront sauter les kamikazes. Il y aura toujours des rassemblements de plusieurs dizaines ou centaines de personnes qui ne pourront pas toutes être fouillées, et de tels rassemblements, inévitables, seront toujours des cibles de choix pour les terroristes.

Comme je l’ai démontré ici à plusieurs reprises, la surveillance généralisée par les États et leurs services de renseignement est tout aussi inutile ; ce qui vient de se passer en apporte une nouvelle preuve. Nous sommes déjà surveillés à l’extrême, et les attentats continuent ; jusqu’où voulons-nous aller ? De toute manière, il faut bien comprendre qu’aussi loin que nous allions, le problème ne disparaîtra jamais : si les États se mettaient à surveiller tout le monde tout le temps, les terroristes changeraient de stratégie. Ils ont déjà commencé : les groupuscules et les cellules actives sont déjà de plus en plus petits ; qu’on les surveille davantage, et ce seront des loups solitaires qui prendront le relais. Vous pouvez, avec beaucoup d’efforts et à un prix mortel pour la liberté, empêcher un petit groupe de poser une bombe dans un avion ; mais vous ne pourrez pas éviter un terroriste isolé qui égorgera dix personnes dans la rue avant de se faire abattre ou arrêter. L’État ne peut pas – encore – lire dans l’esprit des gens.

Inutile, cette surveillance généralisée de nos vies privées par les États est surtout dangereuse pour nos libertés, ce n’est plus à démontrer. Pourtant, nos joyeux politiciens essayent bravement de continuer à l’accroître. La récupération politique ne tardant jamais trop longtemps de nos jours, ils n’ont cette fois-ci pas attendu 48 heures avant de se lancer dans de nouvelles diatribes. Leur cible privilégiée ces jours-ci : le Parlement européen, qui a eu l’audace de ne pas inscrire l’examen du PNR, le fichier des passagers aériens, à son ordre du jour.

Le PNR, pour ceux qui ne connaissent pas, serait un gigantesque fichier qui enregistrerait systématiquement un certain nombre de données sur chaque passager prenant l’avion en direction ou en provenance de l’Union européenne : identité, coordonnées, dates et heures de départ et de retour etc. Le bonheur, quoi. Depuis deux jours, tous, de droite ou de gauche, n’ont qu’un seul mot à la bouche : ne pas l’avoir examiné, et surtout accepté, de la part du Parlement, c’est « irresponsable ». Toujours la même rengaine : je restreins les libertés sous le coup d’une émotion populaire, je suis responsable ; si tu prends le temps de réfléchir un peu, tu es irresponsable. Bon.

La question est alors de savoir si nos politiciens en sont inconscients ou s’ils s’en moquent. Je suis, pour ma part, convaincu qu’ils connaissent parfaitement le danger pour les libertés, mais qu’ils s’en moquent. Pourquoi ? Justement parce qu’ils ont également conscience d’être les membres d’une sorte de parti unique. Ils savent très bien qu’au fond, centre, centre-droit et centre-gauche partagent une même vision du monde et, bien plus important encore, des intérêts communs ; et comme ils voient bien à quel point le Système est puissamment verrouillé pour leur assurer le pouvoir, ils se disent qu’ils n’auront jamais, eux, à subir les conséquences de ce qu’ils imposent au bas-peuple.

Et c’est là qu’ils commettent une erreur qui finira par leur être fatale. Car ils ont oublié une leçon fondamentale de l’Histoire : c’est que si tout système est évidemment plus ou moins bien verrouillé pour assurer aux puissants de conserver leur puissance, aucun ne l’est suffisamment pour demeurer éternellement. Ai-je dit que les partis extrémistes ou radicaux ne pouvaient pas accéder aux responsabilités ? J’ai bien précisé : « dans l’état actuel des choses ». Une crise majeure, par exemple économique ou écologique, pourrait tout changer. Sans le puissant moteur des crises économiques, la Révolution française n’aurait pas eu lieu, et Hitler n’aurait pas pris le pouvoir.

Les partis radicaux, en particulier l’extrême-droite, peuvent donc prendre le pouvoir en France ; et alors, qui sait ce qui peut advenir ? Si quelqu’un a suffisamment de volonté pour essayer de mettre en place un totalitarisme et de devenir le maître absolu du pays, il n’a rien à inventer : dès lors qu’il aura le contrôle de la machine d’État, il aura aussi tous les outils à sa disposition. Tout est déjà là, prêt à l’usage ! Nos dirigeants feraient bien d’y penser : ils en seraient, à l’évidence, les premières victimes.

mercredi 16 mars 2016

Petits rappels à l’usage du traqueur de pédophile


Ami traqueur de pédophile, bonjour.

Avant toute autre chose, laisse-moi te remercier et te féliciter d’accomplir la mission qui est la tienne. La pédophilie est bien évidemment une tragédie à l’origine de souffrances immenses et innombrables. Les pédophiles, bien sûr, ne sont pas responsables de l’attirance qu’ils éprouvent pour les enfants ; mais on ne peut pas tolérer qu’ils satisfassent leurs pulsions pour autant, étant donné la souffrance que cela infligerait aux enfants concernés. La plupart des pédophiles en sont d’ailleurs eux-mêmes conscients : beaucoup ne passent jamais à l’acte, et ceux qui sautent le pas le font souvent dans une terrible culpabilité.

Merci, donc, de lutter contre ce fléau. Non, il ne faut pas se taire, sous aucun prétexte. Oui, ceux qui commettent des actes pédophiles doivent être traduits en justice et condamnés. Crois-moi, je ne cherche d’excuse à personne : moi aussi, j’ai deux enfants.

Prends garde cependant qu’entraîné par la bonne cause que tu défends, tu ne te laisses aller à de fâcheux errements.

D’abord, respecte la présomption d’innocence. Ce n’est pas pour rien que ce principe est inscrit dans à peu près toutes les déclarations des droits de l’homme depuis 1789. Surtout à l’heure de l’extrême puissance des médias, de l’immédiateté et de la diffusion planétaire de l’information, il est l’unique barrière face à des lynchages en règle. Souviens-toi que tu peux te tromper, et qu’un lynchage médiatique peut anéantir un homme innocent – l’anéantir parfois physiquement, littéralement, le tuer. Souviens-toi surtout que, même coupable du pire des crimes, aucun homme ne mérite d’être lynché. Tu dois rechercher la justice, pas la vengeance. Oui oui, même pour un pédophile.

Beaucoup gagneraient à méditer sur le fait que le plus petit des principes devrait toujours passer avant le plus grand des événements. Un événement, même très grave, même tragique, est toujours ponctuel. Un principe est intemporel. Ce sont les principes, et eux seuls, qui nous protègent du déferlement de passions, parfois violentes, nées des événements.

Si tu es Premier ministre, ami traqueur de pédophile, je comprends ton empressement à surfer sur les peurs et les colères populaires dans l’espoir d’être, à ton tour, le prochain Président de la République. Devenir calife à la place du calife, c’est le jeu, je ne te lance pas la pierre, et dans ces conditions je me doute bien que ma défense des droits fondamentaux de la personne humaine, ça t’en touche une sans faire remuer l’autre. Mais bon, manifestement, tu fais mal ton travail, faute d’avoir compris que la politique, c’est servir le Bien et les autres, pas satisfaire son ambition. Démissionne et lis Platon.

Ensuite, ami traqueur de pédophile (et même si tu n’es pas Premier ministre), n’hésite pas à te servir de ce merveilleux outil qu’est le dictionnaire, ni à feuilleter les textes de loi.

Ainsi, essaye de ne pas oublier que dans ce beau pays qu’est la France, un adulte peut avoir des relations sexuelles avec un mineur (quelqu’un qui a moins de 18 ans, donc) si celui-ci consent à ladite relation et est âgé de plus de 15 ans. Eh oui, 15 ans. On peut regretter cet état de choses et préférer vivre en Californie, en Floride ou en Turquie, où un adulte ne peut avoir aucune relation sexuelle avec quelqu’un de moins de 18 ans, voire en Indonésie, ou il faut pour coucher avec un garçon attendre qu’il ait 19 ans. Ce n’est pas mon cas, je trouve l’âge défini par la loi française équilibré et respectueux tant de la sécurité des enfants que de la liberté des adolescents ; mais encore une fois, chacun est libre de penser ce qu’il veut.

En revanche, la loi étant pour le moment ce qu’elle est, tu dois appeler les choses par leur nom, et éviter de voir de la pédophilie là où il n’y en a pas. Quand un adulte couche avec un garçon de 16, 17 ou 19 ans, ce n’est pas de la pédophilie, c’est une relation sexuelle tout ce qu’il y a de plus légale. Si l’adulte est lui-même un homme, ça ne s’appelle toujours pas de la pédophilie, ça s’appelle de l’homosexualité, et Dieu merci, c’est légal – même si, là encore, chacun est libre de préférer la façon iranienne ou soudanaise de gérer l’homosexualité.

Je t’entends déjà me dire : eh oui, mais si la relation n’est pas consentie ? Eh bien dans ce cas, ça s’appelle un viol ou une agression sexuelle, tout bêtement. C’est très mal aussi, et c’est tout aussi condamnable, mais ce n’est toujours pas de la pédophilie pour autant.

Reste la question du statut de l’adulte qui a des relations sexuelles avec un mineur de 18 ans (je te rappelle qu’en droit, « mineur de 18 ans » signifie « personne âgée de moins de 18 ans », de même que « mineur de 15 ans » signifie « personne âgée de moins de 15 ans »). Oui, tu as raison de soulever ce point : un adulte ne peut pas coucher avec un mineur, même âgé de plus de 15 ans, s’il y a un lien de subordination entre eux, c’est-à-dire s’il est un de ses parents, beaux-parents, professeurs, moniteurs, médecins, ou s’il est policier. Ou prêtre.

Mais (attention accroche-toi il faut suivre), même dans ce cas, on n’a toujours pas trace de pédophilie. Si un prêtre, un prof ou un médecin a des relations sexuelles consenties avec une personne placée sous son autorité et âgée de 15 à 18 ans, c’est une atteinte sexuelle (pas une agression, ça c’est pour les relations non consenties : une atteinte), mais ce n’est toujours pas de la pédophilie, puisque ça concerne une personne qui a déjà atteint « l’âge du consentement », c’est-à-dire l’âge à partir duquel on considère un consentement comme éclairé et donc réel, valide.

Voilà. Je crois que je viens de bien faire mon métier de professeur éthique et responsable, justement, en te rappelant deux choses essentielles, la première en droit, la seconde en langue. Ravi d’avoir pu t’aider.

mercredi 2 mars 2016

Droite et gauche : une différence de clientèles


Pour essayer d’explorer rapidement l’épineuse question de la définition de la droite et de la gauche en politique, j’ai déjà écrit deux billets (ici et ici) ; tous deux tendaient à montrer qu’entre les partis de gouvernement dits « de gauche » et les partis de gouvernement dits « de droite », la frontière avait tendance à s’affaiblir, et que les uns comme les autres menaient des politiques de plus en plus similaires – sans aller pour autant jusqu’à nier les différences objectives et parfois importantes qui les séparent encore.

La loi El Khomri, actuellement en discussion, nous donne une occasion de préciser la définition de ces deux camps apparemment si irréconciliables, alors qu’ils sont aussi apparemment si proches.

Que cette loi soit une infamie, c’est pour moi une évidence, et j’ai par avance la flemme de le démontrer. On verra ce qu’il en sera après la première reculade du gouvernement, bien sûr ; encore que je ne pense pas qu’ils toucheront à l’essentiel. Mais ce qui est certain, c’est que dans sa version d’origine, cette loi est scélérate. Assouplissement du temps de travail (il sera possible de travailler jusqu’à 12h. par jour et 60h. par semaine), diminution de la valorisation des heures supplémentaires, plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciements, eux-mêmes facilités, organisation du contournement des syndicats : Jean-Luc Mélenchon n’a pas tort quand il affirme que cette loi nous renverrait au XIXe siècle. Pour tout dire, on a du mal à concevoir que le parti qui la porte soit celui-là même qui avait instauré les congés payés.

Mais à la rigueur, ce n’est pas cela qui m’intéresse : finalement, ça ne fait que démontrer ce que je répète depuis des années, à savoir que la différence essentielle ne passe plus entre ce qu’on appelle « la droite » et ce qu’on appelle « la gauche », mais bien entre les conservateurs, qui veulent préserver le cadre général du Système économique et politique actuel (conservateurs dont, à l’évidence, l’essentiel des membres du PS fait partie), et les radicaux, qui veulent faire exploser ce cadre et construire un contre-modèle à la place. Non, ce qui est vraiment intéressant, c’est de voir sur qui cette loi tape, et sur qui elle ne tape pas.

Sur qui tape-t-elle ? Sur les travailleurs précaires ou pauvres, quel que soit leur statut (salariés du tertiaires, ouvriers etc.). Eux, qui vivent déjà dans des conditions extrêmement difficiles, vont voir leur existence encore fragilisée. On essaye encore une fois de leur vendre le vieux truc de la flexisécurité, ce qui, concrètement, signifie que les patrons ont la sécurité et qu’eux ont la flexibilité, donc l’insécurité.

Sur qui ne tape-t-elle pas ? Sur les patrons, évidemment, grands gagnants de l’affaire – d’ailleurs, voir le MEDEF et les députés de droite applaudir la loi devrait mettre la puce à l’oreille de ses quelques défenseurs qui se prétendent de gauche. Mais ce n’est pas tout : la loi ne tape pas tellement non plus sur les fonctionnaires. Parce qu’il faut être honnête : assouplir le temps de travail, faciliter les licenciements et limiter les indemnités prud’homales, nous, ça ne nous concerne pas des masses.

Alors bien sûr, tout à fait égoïstement, je me réjouis. Merci, mesdames et messieurs les députés PS, de n’avoir pas touché à mon précieux statut ! Je vous en suis sincèrement reconnaissant. Mais au-delà de cette gratitude toute personnelle et pas très altruiste, comment analyser cette générosité ? Faut-il y voir un oubli de la part du gouvernement ? Non : il faut l’analyser comme un acte clientéliste.

Que le PS, dans sa loi, tape sur les pauvres, montre qu’ils ont au moins compris une chose : ils ont perdu les classes populaires, qui passent massivement à l’extrême-droite. Partant, ils peuvent leur taper dessus : de toute manière, ils ne votent déjà plus pour eux. Inversement, favoriser le patronat peut leur faire gagner quelques voix. Quant au fait de ne pas toucher à la fonction publique, c’est la clef de voûte du clientélisme : les fonctionnaires sont reconnus pour ce qu’ils sont, à savoir le socle de l’électorat PS – à ménager absolument, donc.

Symétriquement, on peut remarquer que, lorsqu’ils étaient au pouvoir, les membres de l’UMP tapaient à peu près autant sur les pauvres, et offraient à peu près autant de cadeaux aux riches (même reconnaissance de la nouvelle orientation du vote populaire, même tentative de racoler le patronat et les classes aisées et même moyennes), mais faisaient des fonctionnaires une de leurs cibles privilégiées, reconnaissant ainsi que, de toute manière, ils savaient qu’ils ne voteraient pas massivement pour eux.

Voilà donc à quoi se résume, pour une large part, l’opposition entre la droite de gouvernement et la gauche de gouvernement : des politiques largement identiques, mais accablant ou privilégiant des cibles légèrement différents. Finalement, ce qui les rassemble le mieux, c’est encore l’obsession sécuritaire : la nouvelle loi antiterroriste accorde à la police des pouvoirs exorbitants, des gardes à vue sans avocat, un droit d’arrestation de personnes à qui l’on n’a rien à reprocher, des pouvoirs d’intrusion et de surveillance démesurés ; là, tout le monde applaudit, la droite et la gauche sont soudainement d’accord.

Pas étonnant que l’extrême-droite monte. Ce qui est étonnant, c’est que l’antiparlementarisme et plus généralement l’opposition à la démocratie ne progressent pas plus vite ; mais je crois que ça ne tardera guère.

mardi 1 mars 2016

Contre l’invasion sonore


Il y a deux ans, j’avais écrit une chronique appelant au respect du traditionnel bruit des cloches dans nos villages, contre lequel certains n’hésitaient pas à aller au procès – et, pire encore, le gagnaient. Il faut croire que le bon sens n’est décidément pas la chose du monde la mieux partagée, car à côté de cela, il semble que notre société s’habitue de plus en plus au bruit et, plus généralement, à une invasion sonore toujours plus poussée.

C’est bien sûr d’abord par le biais des machines, qui font de la civilisation techno-industrielle une civilisation bruyante. Même les plus silencieuses, celles qui utilisent l’électricité, sont désagréables ; dès qu’elles fonctionnent à l’essence, c’est la catastrophe. Enfant et adolescent, il m’arrivait de pleurer de rage et d’impuissance, pendant des promenades dans la nature, face à la pétarade incessante des voitures, d’une tronçonneuse ou d’une tondeuse – et je ne me suis jamais vraiment habitué.

Car c’est la double caractéristique du bruit qu’il porte loin et qu’on n’y échappe pas. C’est ce qui en fait une nuisance supérieure à beaucoup d’autres. Dans un espace ouvert, l’odeur d’une cigarette se dissipe complètement au-delà de quelques mètres ; le son, lui, peut porter sur des dizaines, des centaines de mètres, voire quelques kilomètres pour certains qu’on rencontre malheureusement trop fréquemment. Quand il dure, le bruit peut donc vite devenir intolérable. Si je défendais les cloches, c’est parce qu’elles ne sonnent que brièvement et ponctuellement ; mais la proximité d’une autoroute provoque un bruit de fond absolument incessant.

Quant aux rares moyens de protection (les boules Quies, les casques anti-bruit…), en plus d’être inconfortables (en promenade, ils ne risquent pas de se faire oublier), ils ne vous coupent pas seulement du bruit, mais de tout son : vous n’entendez plus la tronçonneuse, mais vous pouvez dire adieu au concert des oiseaux. Le bruit est donc une nuisance invasive contre laquelle il n’existe aucune réelle protection.

Enfin, on peut constater que, de nos jours, l’invasion sonore ne provient plus seulement du bruit des machines, même si ce dernier n’a nullement cessé – au contraire – : de plus en plus, elle découle également d’une omniprésence de la musique. C’est évidemment dû à l’invasion des machines et au « progrès » technique : il est de plus en plus facile de transporter des appareils capables de produire de la musique avec une puissance et une durée d’autonomie accrues. Et, de fait, la musique est partout : dans les casques et les écouteurs, aux terrasses des cafés et des restaurants, mais aussi dans la rue – les voitures, les téléphones portables etc. produisant un son de plus en plus envahissant.

Même si les gens n’écoutaient ainsi que des concertos de Vivaldi ou des nocturnes de Chopin, ce serait vite pénible ; vu ce qu’ils écoutent, c’est proprement insupportable. Au point qu’à mon sens, il serait utile de légiférer sur la question. On me dira que ce n’est pas l’urgence. Certes ; ça ne veut pas dire que ce n’est pas important, et vu le nombre de personnes qu’on paye à ne faire que de la politique à plein temps, on est quand même en droit d’attendre d’eux qu’ils ne règlent pas que les urgences.

D’autant plus qu’en réalité, ce sont deux questions qui se posent. La première, celle dont j’ai parlé jusqu’ici, est celle de l’invasion, de la nuisance pour autrui : la mauvaise musique sur la terrasse de l’hôtel où je prends mon petit déjeuner me gêne, la voiture qui passe avec le volume sonore poussé à fond me gêne, la tronçonneuse tronçonnant tout l’après-midi me gêne.

Mais il y a un second problème, celui que se pose à lui-même celui qui écoute en permanence de la musique, fût-ce dans ses écouteurs, donc sans gêner personne d’autre : l’incapacité à vivre, même ponctuellement, dans le silence. Chacun peut facilement le constater autour de lui : de plus en plus de gens sont angoissés par le silence, qu’ils trouvent insupportablement vide. Or, je crois qu’il y a une vertu dans le silence ; plus encore : je crois que les moments de silence sont nécessaires à notre équilibre, à notre construction intellectuelle, à notre stabilité émotionnelle, à notre bonheur. Ce n’est que dans le silence qu’on se retrouve seul face à soi-même et qu’on peut s’observer, penser, réfléchir ou méditer.

C.S. Lewis, dans Tactique du Diable, faisait ainsi parler le démon Screwtape :

« La musique et le silence – comme tous les deux je les déteste ! Comme nous devrions être reconnaissants à Notre Père de n’avoir pas laissé, depuis qu’il est entré en Enfer […], un seul mètre carré de l’espace infernal ni un seul instant du temps infernal à ces deux forces abominables, mais de les avoir tous fait occuper par le Bruit – le Bruit, le grand dynamisme, l’expression audible de tout ce qui exulte, de tout ce qui est viril et sans pitié – le Bruit qui, seul, nous protège des doutes stupides, des scrupules désespérés et des désirs impossibles. Nous transformerons l’univers entier en bruit, à la fin. Nous avons déjà fait de grandes avancées dans cette direction pour ce qui concerne la Terre. À la fin, nous abattrons de nos cris les mélodies et les silences du Ciel. »

Essayons, si possible, de ne pas lui donner trop tôt raison.