lundi 19 juin 2017

Allez en prison, ne touchez pas 20 000 francs

France, 2017 : Romain et Mina H. sont assignés à résidence chez eux depuis près d’un an et demi. À Maubeuge, en plus. Qu’ont-ils fait ? Rien ou presque. Ils sont suspectés d’intérêt pour le djihadisme – Romain H. a « consulté des sites djihadistes », ce pour quoi on a commencé par le poursuivre, avant de lâcher l’affaire suite à l’heureuse censure du Conseil constitutionnel sur le sujet, une des rares bonnes nouvelles de ces derniers mois, dont j’avais déjà parlé. Puis, pendant leur assignation à résidence, ils ont déménagé sans en avertir l’autorité administrative, et Romain H. est arrivé une fois au commissariat avec 40 minutes de retard pour son pointage quotidien (oui, parce qu’entre autres joyeusetés, une assignation à résidence vous oblige à pointer au moins une fois par jour, parfois plus, au commissariat du coin).

C’est très vicieux, l’assignation à résidence. Vous devez rester à un endroit particulier – généralement chez vous – de 20h à 6h. Vous allez donc travailler – on ne vous entretient pas à ne rien faire, ce serait trop beau – ; en revanche, après le taf, impossible de mener une vie privée et familiale normale, puisque vous ne pouvez plus vous déplacer. Ça piétine donc une liberté fondamentale, mais sans trop en avoir l’air. Comme vous êtes chez vous, et pas en prison, dans un camp ou dans un centre de rétention administrative, le plébéien de base, qui est très con, se dit que ce n’est pas si grave que ça – « oh ça va il est pas enfermé quand même ». L’État, le gouvernement, l’administration, la police font donc face à une indignation bien moindre qu’avec un Guantanamo à la française.

Et pourtant, le résultat n’est finalement pas si éloigné que ça. La liberté d’aller et de venir, la liberté de mener une vie privée et familiale normale, sont évidemment parmi les plus essentielles, les plus fondamentales, celles dont dépend le plus notre bonheur. Et ce qu’on constate, c’est qu’en France, à l’heure actuelle, il est possible d’annihiler à peu près entièrement cette liberté, de manière extrêmement longue – plus d’un an, et pour ce couple on ne sait pas encore quand ça va se finir –, sans qu’aucune décision de justice n’ait été prise contre vous, sans que vous ayez jamais été condamné (ce qui, en toute logique, devrait signifier que vous êtes présumé innocent). Et tout cela est légal.

Une petite bonne nouvelle : la justice administrative a suspendu l’assignation à résidence de Romain et Mina H. Et une mauvaise : le ministère de l’intérieur a évidemment fait appel. Au cas où certains auraient imaginé que, sous Macron, les libertés formelles seraient mieux respectées, voilà, vous êtes renseignés. Maintenant, tout est dans les mains de la justice. Si elle fait bien son travail, on a des chances pour que les droits fondamentaux soient piétinés (parce que quand même, un an et demi enfermé chez soi sans avoir été condamné du tout !), mais avec des voies de recours au bout de longtemps-longtemps. Dans le cas contraire, l’État pourra faire tout ce qu’il voudra sans se soucier le moins du monde de nos droits.

Le totalitarisme approche. Les outils dont il aura besoin sont déjà en place. Vous êtes prévenus, ça fait longtemps que je vous le serine, maintenant faudrait vous bouger un peu.

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