mardi 20 mars 2018

Évitons la guerre entre écologistes (par pitié)

On sait combien les riches aiment les combats de pauvres. Vous connaissez l’histoire du riche qui prend onze gâteaux sur la table, en laisse un seul pour le pauvre et l’immigré qui sont à côté de lui, et crie au pauvre : « Attention, l’immigré va te voler ton gâteau ! » Histoire exprimée autrement par cette image de Nawak :



Les écologistes sont en train de tomber exactement dans le même panneau. C’est particulièrement vrai des écologistes radicaux, ceux qui placent la vie comme première valeur et veulent par conséquent sortir du Système pour construire autre chose à la place. Comme je l’explique dans mon livre L’Écologie radicale expliquée à ma belle-mère (pardon pour le coup de pub, mais comme c’est à paraître bientôt, préparez-vous-à-acheter-les-gens), nous perdons une part considérable de notre énergie à nous lancer des anathèmes et des excommunications mutuelles. Le Système aime, il aime même beaucoup-beaucoup.

Ces derniers jours, une polémique partie du journal Libération vient à point nommé pour illustrer mon propos. Le 18 mars, trois personnalités signent une tribune intitulée « Pourquoi les vegans ont tout faux ». Le lendemain, l’association L214 répond : « Et si les vegans n’avaient pas tort ? » Très rapidement, la polémique enfle sur le Net, avec, comme souvent, beaucoup d’agressivité, parfois de violence.

En soi, rien de bien surprenant, et ça pourrait être un épisode banal de la lutte entre les écologistes et ceux qui n’ont pas compris l’urgence et l’importance de la crise écologique. Sauf que les trois signataires de la tribune qui attaquaient le veganisme n’étaient pas Claude Allègre, Luc Ferry ou Pascal Bruckner, mais Paul Ariès, Frédéric Denhez et Jocelyne Porcher. Autrement dit, trois écologistes, dont au moins un est radical. Paul Ariès, c’est quand même quelqu’un qui a longuement participé au journal La Décroissance. Comment en arrive-t-on là entre écologistes ?

Il est ici fondamental de distinguer la forme du fond. Sur le fond, les questions du végétarisme, du veganisme et de la protection animale sont de celles qui ne font pas consensus au sein de l’écologie radicale, ni a fortiori au sein de l’écologie politique. Il y a des désaccords qu’il faut constater, et un débat d’idées sain et dont on devrait se réjouir. Que nous ne soyons pas tous d’accord sur tout, c’est une évidence ; et dès lors que les idées en présence s’affrontent avec des arguments pertinents, où est le problème ?

En l’occurrence, les vegans comme ceux qui s’opposent à eux ont des arguments solides et intéressants. Personnellement, je suis plutôt d’accord avec Ariès, Denhez et Porcher. Je ne suis pas végétarien, a fortiori je ne suis pas vegan, pour des raisons que j’ai exposées ici ou sur ce blog. Dans la polémique actuelle, toujours sur le fond, je ne peux que constater une fois de plus que tous les arguments utilisés dans la réponse de L214, intégralement tous, ne sont valables que contre l’élevage et l’abattage industriels, que bien entendu je combats, comme ne peuvent que le faire tous les écologistes. Il me semble donc que Tol Ardor a raison quand elle écrit que « le problème n’est pas dans l’élevage, il est dans l’industrie ».

Quant à la possibilité d’élever les animaux en respectant leur équilibre biologique et en leur offrant une vie digne d’être vécue, L214 se contente d’écarter cette idée d’un revers de la main :

« Il est utopique d’imaginer qu’on puisse un jour arriver à offrir une vie décente et une mort sans souffrance aux animaux tués pour l’alimentation humaine. […] Des conditions garantissant une bonne vie et une bonne mort aux animaux mangés est une illusion. Ce mythe doit être détruit parce que cette fausse promesse permet de laisser perdurer les innombrables atrocités imputables à la viande […]. »

Utopie ? Illusion ? Mythe ? Fausse promesse ? Hé ! De la part de ceux qui veulent nous faire complètement arrêter de manger de la viande, du fromage, des œufs, du miel, de boire du lait, d’utiliser du cuir ou de la cire, l’accusation prête à sourire.

Ça, c’était pour le fond ; mais il reste la question de la forme. Et là, pour le coup, je ne suis plus, mais alors plus du tout, d’accord avec Ariès, Denhez et Porcher. Nous sommes engagés dans des débats d’idées, certes. Mais nous sommes aussi, tous, des militants engagés dans un combat pour la protection de la planète, de la nature, de la vie. Et dans ce combat, les écologistes, a fortiori les écologistes radicaux, sont du même bord. Ils doivent en avoir conscience et agir en conséquence.

Pour cela, quand nous discutons, il est impératif que nous le fassions comme entre amis. Des amis peuvent avoir des débats de fond, et même être fondamentalement en désaccord sur des questions pourtant essentielles à leurs yeux, mais ils s’interdisent mutuellement certaines formulations ou certains procédés. Bref, ils témoignent les uns envers les autres d’un respect qu’on ne montre pas avec de simples adversaires. Quand nous discutons avec Allègre, Ferry ou Bruckner, nous n’avons pas à retenir nos coups. Nous devons éviter de les traiter comme des ennemis, et nous devons leur conserver le respect dû à des frères en humanité ; mais rien de plus. Entre écologistes, surtout entre écologistes radicaux, il nous faut en user autrement.

Ainsi, accuser les vegans d’être « clairement les idiots utiles du capitalisme », dire que le veganisme est « dangereux », en faire « l’allié objectif [Dieu que cette formulation me déplaît et me rappelle de mauvais souvenirs…] d’une menace plus grande encore », celle du transhumanisme et de l’enfermement dans des villes coupées de la nature, sont autant de formulations plus que malheureuses. Je ne dénie pas aux trois auteurs le droit de parler ainsi ; mais, ce faisant, ils commettent à mon avis une faute politique majeure.

Porteur de cette faute, de ce péché originel en quelque sorte, leur texte devient une arme qui ne peut que diviser l’écologie et donc se retourner contre elle. Ce n’est pas ainsi que les non-vegans convaincront les vegans de quoi que ce soit. Ce n’est pas ainsi que se construira l’union des forces écologistes, union sans laquelle nous ne ferons rien. Je ne suis pas vegan ; pour autant, je ne crois pas que le veganisme soit l’allié du Système. Je sais bien, au contraire, qu’il est mon allié contre le Système. Je suis affligé de voir que trop d’écologistes non-vegans pensent encore le contraire – de même que je suis affligé quand certains vegans se comportent de la même manière et dénient aux omnivores toute légitimité dans le combat écologiste ou de la protection animale.

À cet égard, et même si je suis loin d’être entièrement d’accord avec eux sur le fond, il faut souligner la modération et la courtoisie de la réponse de L214. Imitons-les, et fixons-nous quelques règles de conduite. Réservons nos coups à ceux qui les méritent vraiment. Ne soyons pas trop prompts à considérer ceux des écologistes qui ne vivent pas comme nous, qui ne pensent pas comme nous sur tout, comme des adversaires. Laissons-leur systématiquement le bénéfice du doute. Même dans le désaccord, traitons les autres écologistes en amis, et interdisons-nous toujours les insultes, les propos méprisants et les coups bas. Nous n’avons rien à y perdre ; nous avons l’efficacité politique à y gagner.

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