dimanche 18 décembre 2011

Kirikou et la technique

Lorsque j’ai vu à sa sortie au cinéma le film Kirikou et la sorcière, de Michel Ocelot, au début de l’année 1999, Tol Ardor venait de voir le jour dans sa forme définitive. Évidemment, « voir le jour », c’est beaucoup dire : disons que je venais de lui donner, dans les grandes lignes, la forme qu’elle connaît toujours aujourd’hui. C’était le tout début du Projet : j’étais seul, je n’en avais parlé à personne, et je ne devais pas en dire un mot à quiconque avant plusieurs années.

Mais bien entendu, cette idée m’occupait à peu près à plein temps. Et j’avais vu dans Kirikou un film éminemment ardorien. Peut-être avais-je plaqué mes idées dessus ; mais cette interprétation continue de me sembler pertinente.

Dans ce (très beau) film, le village du petit Kirikou, en Afrique, est la victime d’une sorcière malfaisante qui persécute ses habitants. On s’aperçoit par la suite que si la sorcière est si méchante, c’est parce qu’on lui a planté dans le dos une épine qui la fait terriblement souffrir. Mais elle lui donne aussi tous ses pouvoirs.

Cette sorcière et cette épine m’ont toujours donné l’impression d’être notre propre société et la technique moderne.

L’épine est profondément enfoncée dans le dos de la sorcière, si profondément qu’il faudrait l’arracher avec les dents, et à un endroit difficile à atteindre. L’enlever ferait ressentir à la sorcière la même douleur qu’elle a éprouvée quand on lui a enfoncé l’épine. De la même manière, la technique moderne est partie intégrante de notre société, elle est extrêmement difficile à réduire, et une telle réduction ne se fera pas sans souffrance. D’autant plus que, tout comme la sorcière, notre société ne veut pas retirer son épine, qui lui confère ses pouvoirs magiques.

On peut aller encore plus loin. La sorcière prend les hommes du village et les transforme en fétiches qui ressemblent étrangement à des robots, à des machines. Autour de sa case, la terre est morte, grise, stérile. La sorcière ne peut pas se déplacer sans faire périr les plantes autour d’elle. Elle a asséché la source du village. Elle est avide d’or et de richesses, qu’elle vole aux villageois. Bref, autant d’éléments qui rapprochent encore la sorcière d’une société capitaliste et destructrice pour son environnement.

Mais le film est aussi porteur du même espoir que nous : dès que Kirikou a retiré l’épine, après une douleur horrible mais de courte durée, la sorcière cesse de souffrir, perd ses pouvoirs et redevient bonne.

Alors, convaincus ? S’il vous manque un cadeau pour Noël …

NB : De manière plus évidente (c’est pourquoi je ne prends pas la peine de développer), j’avais eu la même impression, à la même époque, avec le film Princesse Mononoke, de Hayao Miyazaki (certains y verront une obsession compulsive, je sais). Avec, en plus, une dimension religieuse et spirituelle plus poussée. Sans doute mon dessin animé préféré. Encore une très bonne idée de cadeau de Noël.

1 commentaire:

  1. Mouais. Je trouve que c'est facile d'accuser les technologies modernes... Je vais même aller plus loin avec un parallèle audacieux : la machine à laver a émancipé des millions de femmes qui ont gagné du "temps libre", qu'elles ont mis à profit par leur travail (non-domestique). Effet rebond ou simple retour d'un "refoulé de l'inconscient social" (oui, j'invente des expressions), chaque émancipation s'accompagne d'une nouvelle dépendance, qui ne découle pas directement et automatiquement de la "technologie". Je veux dire par là que dans un monde "oisif", cette technologie aurait permis à des millions de personnes (hommes ou femmes non inscrits dans des structures de travail de type salarial ou "productif") de profiter de ce nouveau temps libre pour se cultiver, profiter, se reposer, etc.
    J'ai un peu la même impression avec les autres technologies : internet m'a apporté énormément. J'ai découvert et appris, j'ai connu des auteurs, j'ai réfléchi sur des sujets inédits, j'ai pu, probablement aussi, sortir de certaines déterminations familiales grâce aux connaissances que j'y ai puisé. Mais j'en suis dépendant, je suis l'objet d'un contrôle social plus facile, je suis la cible de plus de firmes commerciales, etc.
    Pour filer la même métaphore que toi, mais sur une ligne idéologique différente (bien que je ne me définisse pas comme technophile), pour moi, la technique, c'est notre cerveau. On sait où il est. On sait ce qu'on lui doit autant que l'on a de reproches à lui faire. Mais on ne peut pas en faire l'ablation, sous peine de perdre tout ce que l'on a et ce que l'on est. Et ce n'est pas tant sur le cerveau que l'on doit fouiller, mais sur ses usages.

    RépondreSupprimer