dimanche 19 février 2012

Que les grands de ce monde sont petits

Il y a quelque chose que j’ai toujours eu du mal à m’expliquer avec les très riches : c’est que même une fois riches, très, très riches même, ils continuent à penser en termes de rentabilité uniquement. Comment se fait-il qu’un multimillionnaire continue de se demander avant tout comment gagner d’autres millions ? Pourquoi ne profitent-ils pas d’abord de leur fortune ? Pourquoi ne se demandent-ils pas d’abord comment dépenser ce qu’ils ont, puisqu’ils ont des réserves pour jusqu’à la fin de leurs jours, voire ceux de leurs enfants et petits-enfants ?

Certains me répondent que s’ils ne pensaient pas ainsi, ils ne seraient pas riches. D’autres, que c’est une question de principe. Mais ces réponses ne me satisfont pas ; de mon point de vue, elles contreviennent trop à la logique, à l’évidence, à la nature humaine pour être vraiment pertinentes.

Je le disais déjà il y a quelques semaines : l’attitude de certaines personnes très fortunées non seulement me révulse, mais également me stupéfie au-delà de toute compréhension.

Je reste particulièrement choqué – et intrigué – par certaines déclarations, tant par leur contenu que par leur audace, leur culot. Prenons quelques exemples dans la presse récente.

Ainsi, Laurence Parisot, présidente du Medef, patronne des patrons, a fait quelques recommandations pour la campagne présidentielle en cours. Elle commence par proposer de lutter contre les abus de la finance, mais uniquement à l’échelle mondiale. Très pratique : comme on sait très bien que bien des pays ne seront jamais d’accord pour encadrer l’activité des financiers, cela revient à demander qu’on ne lutte jamais contre ces abus. Bon.

Elle demande ensuite que l’État baisse les impôts sur la production et « privilégie un nombre réduit de prélèvements à base large et à taux bas ». Baisser les impôts sur la production, ça veut dire les baisser sur les entreprises, donc sur leurs patrons et actionnaires. Elle demande donc, bouche en cœur, qu’on fasse payer moins d’impôts aux riches. Bon.

A côté de ça, des impôts « à base large et à taux bas », ça veut dire que tout le monde paye un peu. Tout le monde, c’est vous et moi. Bref, elle demande qu’on fasse moins payer les très riches, et que pour compenser on fasse un peu plus payer les plus pauvres, ou les moins riches : l’État peut en effet gagner la même somme en demandant un peu à beaucoup de gens ou beaucoup à très peu de gens. Bon. Nul doute qu’elle propose ça de manière tout à fait altruiste, pour le bien commun.

Elle demande aussi qu’on cesse de remplacer deux fonctionnaires sur trois partant à la retraite. Vous avez bien lu : deux sur trois. Ce que même Sarko n’a pas osé faire, elle le réclame. Là encore, elle n’a que l’intérêt du peuple en tête, je gage. Elle ne prévoit aucunement que les services publics devront être remplacés par leur équivalent privé, ce qui permettra à elle-même et à ses amis de s’engraisser sur notre dos.

Enfin, elle demande que « la fixation de la durée effective du travail et son organisation » relèvent « exclusivement de l’accord collectif ou, à défaut, du contrat de travail ». Bravo ! Comme on est en période de crise et qu’on avoisine les 10% de chômeurs, les patrons, libérés du carcan de la loi, pourraient ainsi imposer les conditions qui leur chantent à des employés prêts à tout pour trouver un travail. Là encore, que le bien du peuple en tête !

Alors ? Le peuple souffre, galère, les inégalités explosent, et Madame Parisot, sans honte, propose d’endurcir encore les conditions de travail des petites gens pour se goinfrer un peu plus.

Il m’est venu à l’idée de comparer tout ça avec le salaire total de quelques grands patrons en 2010. J’espère que vous êtes assis. Jean-Paul Agon, président de l’Oréal, a gagné en 2010 10 648 000€. Bernard Arnaud, président de LVMH, 9 593 000€. Carlos Ghosn, président de Renault, 9 679 000€. Bernard Charlès, président de Dassault Systèmes, 9 531 000€. Gilles Pélisson, président d’Accor, 9 166 000€.

Pas mal, hein ? Ce n’est pas précisément ce qu’on appelle un petit boulot. Est-ce qu’il n’y a pas de la petitesse, de la mesquinerie dans une proportion proprement incompréhensible, à demander encore plus (sur le dos des plus pauvres), quand on a déjà tout ça ?

Comment réagissent les politiques ? D’une manière presque aussi ubuesque. Ainsi, Mario Monti, président du Conseil italien, estime-t-il que l’obtention d’un emploi à durée indéterminée est « une illusion » et qu’un tel travail serait de toute manière… « monotone ».

Et en France ? Le gouvernement Fillon bataille pour faire passer sa « TVA sociale » (une autre manière de faire payer les pauvres et les classes moyennes plutôt que les riches). Comme les députés de droite, pas chauds, avaient déserté la séance, un amendement de la gauche supprimant cette TVA sociale a été adopté. François Fillon, furieux, a recadré les députés et a fait rentrer les récalcitrants dans le rang. Comme d’habitude, l’exécutif montre sa domination sur le législatif, et les dirigeants nommés sur les élus du peuple. La démocratie est décidément un régime qui favorise les riches.

1 commentaire:

  1. Compé-ti-ti-vi-té. Voilà ce que t'as loupé.
    Combien gagne un chinois, en moyenne (le travailleur, pas le patron, idiot) ? Ben le travailleur français, pour être compétitif (car c'est de la survie de la France dont on parle, de notre survie à tous*), il doit faire mieux.
    (même si l'économie s'écroule parce qu'il pourra plus payer sa baguette, que son boulanger ne pourra plus payer sa farine, que l'agriculteur, bref, on se comprend : déflation compétitive is suicide)

    * « Si PSA n’agit pas à brève échéance pour limiter la surcapacité de production qui plombe ses comptes, ses pertes déjà conséquentes vont s’accroître et c’est toute l’entreprise qui se retrouvera en danger avec à la clé plusieurs dizaines de milliers d’emplois ».
    http://www.bakchich.info/medias/2012/07/20/laurent-joffrin-nest-pas-content-de-jean-luc-melenchon-61534

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