dimanche 1 janvier 2012

Contra Ferryum, Allegrum et Brucknerum : le catastrophisme comme lucidité

En ce début d’année qui, pour ceux qui comprennent mal les prophéties mayas, devrait être celle de la fin du monde, il est intéressant de revenir sur l’écolo-scepticisme et sur sa nouvelle arme de destruction massive, la notion de « catastrophisme ».

L’écolo-scepticisme peut se définir comme le courant de pensée qui nie, relativise ou doute d’un au moins des trois piliers qui fondent l’écologie politique : l’ampleur des transformations que connaît actuellement notre environnement, la responsabilité première de l’humanité dans ces changements, et leurs futures conséquences dramatiques.

L’écolo-scepticisme est un courant qui monte, il est même en plein essor. C’est normal : à mesure que le temps passe, la crise écologique est chaque jour plus évidente ; l’écologie politique ne peut donc que se développer, entraînant ses adversaires dans le même mouvement. C’est ainsi qu’on voit régulièrement sortir en France des livres comme Le Nouvel Ordre écologique, de Luc Ferry (1992), L’imposture climatique, de Claude Allègre (2010) ou Le Fanatisme de l’apocalypse, de Pascal Bruckner (2011) ; ou qu’éclatent de temps à autres de prétendus scandales autour des climatologues, qui tournent inévitablement en eau de boudin.

Pour nous, la progression de l’écolo-scepticisme est donc plutôt bon signe : les coups qu’on nous porte prouvent notre importance grandissante. Mais elle est également dangereuse.

Pas parce qu’ils auraient des arguments : bien au contraire. Les « affaires » autour des mails des climatologues ou du comportement des membres du GIEC se révèlent être des baudruches vides ; les essais écolo-sceptiques révèlent uniquement le peu de connaissances et de sérieux de leurs auteurs sur ces dossiers : leurs méthodes sont injures, manipulations, citations tronquées etc. Allègre, toujours champion dans l’excès, a été celui qui a réussi à liguer contre lui le plus grand nombre de scientifiques : 600 chercheurs ont publié un courrier commun de protestation contre son ouvrage ! Mais Bruckner, dans le sien, n’a pas fait beaucoup mieux. Leur but n’est en fait pas de débattre mais de détruire les conditions mêmes du débat.

Mon objet n’est pas de revenir sur chacune de leurs erreurs, ce qui a déjà été fait. D’un point de vue scientifique, la nullité, l’inanité des thèses écolo-sceptiques est une certitude bien documentée et qui fait l’objet d’un consensus total parmi les vrais spécialistes de ces questions. Il faut donc chercher ailleurs la raison de leur succès.

Il tient évidemment en grande partie à la place qui leur est réservée dans les médias. Sous couvert de « débat démocratique » (inviter un représentant de chaque thèse en présence), les élucubrations écolo-sceptiques se voient offrir le même espace de parole que les points scientifiquement établis. De ce point de vue, la présence et la visibilité de l’écolo-scepticisme sont en eux-mêmes une validation des idées ardoriennes sur le rapport entre médias de masses, opinion publique et pouvoir : si le rôle des médias comme « quatrième pouvoir » est légitime et nécessaire, il n’est pas bon de donner la puissance décisionnelle à ceux qui sont profondément influencés par des mensonges et des approximations.

D’autant plus qu’il ne faut pas négliger un autre élément du poids écolo-sceptique : la mauvaise foi. Derrière leur posture de dissidents, ils sont en fait les défenseurs les plus acharnés du Système dominant. Les écolo-sceptiques ont par exemple forgé la notion de « catastrophisme » pour dénigrer systématiquement ceux qui affirment que les transformations subies par l’environnement sont porteuses de conséquences futures extrêmement graves. Ils utilisent ainsi à merveille le stratagème n°32 de L’art d’avoir toujours raison, de Schopenhauer :

« Nous pouvons nous débarrasser rapidement d’une affirmation de notre adversaire contraire aux nôtres, ou du moins la rendre suspecte, en la rangeant dans une catégorie généralement détestée, lorsqu’elle ne s’y rattache que par similitude ou quelque autre rapport vague : par exemple : « Mais c’est du manichéisme […] ; […] c’est de l’athéisme ; c’est du rationalisme ; c’est du spiritualisme ; c’est du mysticisme, etc. ». Nous postulons, ainsi, deux faits : 1) que l’affirmation adverse est réellement identique à cette catégorie, ou au moins en elle, et nous nous écrions : “oh ! nous savons ce qu’il en est !” – et 2) que cette catégorie est déjà totalement réfutée, et ne peut contenir un seul mot de vrai. »

Or, qu’en est-il de cette notion de « catastrophisme » ? La seule question valide est de savoir si, oui ou non, nous allons vers une ou des catastrophes. D’un point de vue écologique, tous les chercheurs spécialistes de ces questions disent que oui. A cela s’ajoute ce qu’on peut prévoir dans les domaines économique, politique et social.

Moralité : contrairement à ce que voudrait faire croire « l’invincible propension des chroniqueurs à taxer de “psychose d’Apocalypse” toute dénonciation d’un facteur de danger bien avéré », pour citer Denis de Rougemont, le catastrophisme n’est pas l’enfermement dans une idéologie de la peur ou du dolorisme. Bien au contraire, c’est la voie de la lucidité. Si nous voulons éviter que la catastrophe n’advienne, il faut être catastrophiste : c’est l’optimisme suicidaire de la politique de l’autruche que nous devons combattre.

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