mercredi 12 septembre 2012

Réflexions théologiques sur la mort d'un chien

Hier, ma chienne est morte. Sans doute. Renversée par une voiture, elle s’est enfuie sur le côté de la route ; le temps que je passe mon fils à sa nounou qui arrivait, elle avait disparu. Trois heures de recherches aidé de tout le quartier n’ont rien donné, et personne ne l’a vue plus loin. Le plus probable est donc qu’elle soit morte, ou mourante, cachée dans un trou suffisamment bien dissimulé pour qu’on ne la trouve pas. Elle n’avait que cinq ans.

La disparition de l’être aimé entraine une double douleur. La première est celle de la perte, de l’absence, du manque. La seconde est celle de la culpabilité, puisque vous êtes responsable de l’être plus faible, plus fragile – quel qu’il soit : la plante, l’animal, l’enfant, le handicapé – qui vous est confié. Je suis responsable de ma fleur.

Pour affronter cette double douleur, le croyant peut espérer s’appuyer sur sa foi. Mais la première réponse qu’il trouve alors consiste à essayer de donner un sens à cette mort : elle est morte « pour »… pour que j’apprenne ceci, pour qu’il advienne cela. Cette réponse est particulièrement forte pour les chrétiens, formatés par la compréhension habituelle de la mort du Christ : Il serait mort pour que les hommes fussent pardonnés.

Mais cette première réponse est illusion, comme est fausse cette compréhension de la mort du Christ. Dieu n’avait pas besoin que les fautes des hommes fussent rachetées, car Son amour comme Son pardon sont infinis. Si Jésus est mort sur la croix, c’est d’abord parce que, comme l’explique François Varone dans son livre Ce Dieu censé aimer la souffrance, ayant vécu la vie qu’Il avait vécue, ayant dit ce qu’Il avait dit, les autorités juives ne pouvaient pas Le laisser vivre. Dieu nous montre ainsi qu’une vie vraiment parfaite peut, dans certaines circonstances, imposer le don de sa propre vie. Mais par la résurrection du Christ, qui est selon moi une réalité historique et non pas seulement symbolique, Dieu nous montre aussi que la mort n’est pas une fin. Le Christ est donc mort sur la croix pour nous montrer le chemin à suivre : celui de la vie parfaite, quel qu’en soit le prix, la résurrection étant la garantie que cette perfection n’est pas en vain.

A cette première dimension, on peut en ajouter une autre : l’idée selon laquelle le sacrifice de sa propre vie a une vertu magique – j’assume ce mot – en faveur de la réalisation du but vers lequel cette vie a tendu. C’est de cette manière que les moines bouddhistes qui s’immolent par le feu pour une cause ne font pas seulement voir un geste de protestation ; ils pensent que leur mort sacrificielle sera véritablement l’origine d’un progrès de leur dessein, et pas seulement parce qu’elle entrainera des sympathisants à sa suite.

Mais tout cela n’a rien à voir avec les comptes de boutiquier (« à faute infinie, rachat infini ») qu’une certaine théologie prête bien injustement à Dieu. Et surtout, cela n’enlève rien au fait que la mort violente reste toujours une défaite, car elle n’est jamais ce que Dieu avait voulu pour nous. Bien sûr, Dieu utilise le mal pour en faire jaillir du bien ; mais ce n’est pas le bien initialement prévu. C. S. Lewis l’exprimait admirablement dans Perelandra :

« Bien sûr que du bien en est sorti. Maleldil est-Il une bête, que l’on puisse barrer Son chemin, ou une feuille, que l’on puisse Le déformer ? Quoi que l’on fasse, Il en fera un bien. Mais pas le bien qu’Il avait préparé pour le cas où on Lui aurait obéi. Ce bien-là est perdu à jamais. Le premier Roi et la première Femme de notre monde ont enfreint l’interdit, et Il en fait sortir un bien au final, mais ce qu’ils ont fait n’était pas bien, et ce qu’ils ont perdu, nous ne l’avons pas vu. Pour certains, aucun bien n’en est sorti ni n’en sortira jamais. »

Voilà pourquoi la première réponse est une chimère. La mort brutale de l’être aimé est une défaite, une défaite du Bien face au mal, et ce n’est justement que notre incapacité à accepter cette défaite pour ce qu’elle est qui nous pousse à inventer des buts fantasmagoriques qui pourraient lui donner du sens et en faire une victoire.

La seconde réponse est celle de l’Espérance : l’espoir de retrouver le mort, l’espoir d’un après, l’espoir que, justement, la mort ne soit pas une fin, même pour un animal. Cette seconde réponse apaise moins, parce qu’elle est moins immédiate ; on ne peut la tenir pour certaine, on ne peut en avoir aucune preuve avant longtemps. Mais elle est la seule qui vaille, car pour n’être pas certaine, elle n’est cependant pas une illusion.

1 commentaire:

  1. Bonjour, merci pour vos posts intéressants et rafraichissants. Je suis contente de voir que je ne suis pas la seule à lire et apprécier François Varone, car à chaque fois que je parle de ce théologien autour de moi, personne ne le connaît. A chaque fois, on me répond:" François Varillon?" et moi Non: " Varone!"

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