jeudi 29 novembre 2012

L'informatique et la publicité : une espèce débile, une espèce invasive

Il y a des choses qui m’énervent. C’est pas nouveau, vous allez me dire. Plus souvent qu’à votre tour, allez-vous ajouter si vous êtes un de mes élèves (je blague, mes élèves ne parlent pas comme ça). Oui mais qui m’énervent vraiment vraiment. Deux trucs, récemment.

Premier truc : je tombe sur un article du Monde, daté du 25 octobre dernier, et intitulé « Windows 8 : une prise de risque forte mais obligatoire ». Moi, bien surpris (« Quoi ? Ils sortent Windows 8 ? Déjà ? »), très vite affolé (ceux qui se souviennent de mon article du 20 novembre 2011, tiens, il y a presque pile un an, savent que je me méfie instinctivement de ce genre de nouveauté, alors quand on m’annonce « une prise de risque forte », je commence à suer à grosses gouttes en m’imaginant déjà devoir déployer des ruses sans fin pour faire tourner mes vieux jeux sur la nouvelle machine), je me rue là-dessus.

Et là, au cœur d’un article qui me fait pressentir que mes pires craintes concernant cette nouvelle version satanique vont être non seulement confirmées mais dépassées, donc m’ayant déjà mis d’une humeur assez noire, je tombe sur une phrase qui me fige. Je vous la cite in extenso :

« [Les tablettes] font la différence par leur esthétique dépouillée, leur maniabilité et, surtout, le fait qu’elles se connectent immédiatement à Internet, alors qu’il faut encore quelques secondes, voire quelques minutes avec un PC. »

Pardon ? Le fait qu’il faille « quelques secondes » à un PC pour se connecter à Internet nécessite qu’on perde un temps et une énergie incroyables à concevoir un nouveau système d’exploitation pour PC ? Mais dans quel monde vit-on ? Je sais bien qu’on vit dans le « siècle de la vitesse » et que le Système impose d’aller vite, toujours plus vite. Je suis bien placé pour le savoir, je lutte contre. Mais qu’un journaliste du Monde écrive sans ciller une énormité pareille, en ayant l’air de se prendre complètement au sérieux, moi-même, ça me glace.

Pour me détendre, je vais mater un peu les Guignols de l’info. Site de Canal+, lancement de la vidéo, évidemment précédée d’une pub. Jusque-là, rien que de très banal. Ça faisait d’ailleurs longtemps qu’elles me cherchaient, ces pubs de plus en plus inévitables sur les vidéos. Vous vous souvenez, au début, il y en avait une, avant la vidéo. Maintenant, sur Youtube, elles sont partout : en bas, en haut, elles vous cachent l’image, il faut les minimiser, et encore, elles ne disparaissent jamais complètement, il y a toujours une vieille flèche pourrie ou un petit onglet en carton pour vous rappeler que oui oui, si vous avez envie, vous pouvez toujours aller acheter des guitares ou faire une croisière avec frais de dossier offerts, plutôt que de regarder tranquillement votre truc. Connard, t’es demeuré ou quoi ? Si j’avais voulu faire une croisière avec frais de dossier offerts, j’aurais pas tapé « Rondeau des Indes galantes », j’aurais tapé « Croisière avec frais de dossier offerts » !

Bref. Énervé mais habitué, je coupe le son de la pub et je passe sur un nouvel onglet pour vivre ma vie pendant les 30 secondes que va durer cette petite plaie du quotidien. Les 30 secondes quasiment passées, je reviens… pour m’apercevoir avec stupéfaction que la pub n’a pas bougé. C’était tellement énorme que j’ai cru que je l’avais mise involontairement en pause, Dieu sait comment. J’ai refait le test : eh bien non, c’est comme ça que ça marche, maintenant. Sur le site de Canal+, quand tu changes d’onglet pendant les pubs qui précèdent les vidéos, ou quand tu minimises la fenêtre (ils ont pensé à tout, les salauds, pas d’échappatoire), ta pub se met sagement en pause en attendant que tu daignes lui accorder toute l’attention qu’elle mérite.

Bon, eh bien ça, je trouve que c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Je suis d’ordinaire un anti-pub nuancé : loin du fanatisme de certains de mes amis écologistes radicaux, je trouve que les publicitaires font parfois un boulot génial ; certaines de leurs œuvres sont extrêmement drôles ; d’autres font indéniablement partie de l’art. Je regrette évidemment toujours les causes qu’elles servent, le profit et la consommation, mais je peux trouver du positif dans leur travail (et ce même si la plupart des pubs sont infiniment merdiques).

En revanche, je trouve absolument insupportable qu’on cherche à nous imposer de les regarder. La pub n’a pas à être un sas d’entrée obligatoire vers une vidéo ou une musique. Comme à la télé, on doit pouvoir changer de chaîne. Bien sûr, je peux toujours couper le son et ouvrir mon bouquin, voire éteindre mon écran si je veux absolument préserver mes fragiles pupilles ; mais quand même, cette manière de faire est mesquine, sournoise, petite, minable.

Il y a un lien entre les deux anecdotes, les plus malins d’entre vous l’auront bien vu : ils révèlent une société qui a complètement perdu de vue les choses importantes, qui ne sait plus du tout faire la différence entre l’essentiel et l’accessoire, et qui cherche à nous imposer l’accessoire en nous détournant de l’essentiel. Consternant.

Voilà, pour moi ce fut une semaine de merde, alors imaginez…

1 commentaire:

  1. En même temps, tu vas bien sur internet : Rien ne t'empêchait d'aller te noyer dans la profondeur d'un Héraclite d'Ephèse ou dans la pertinence absolue d'un Platon !

    Et après tu oses nous parler de priorité avec des ce symbole de la consommation et de la culture de l'obsolescence que sont les ordinateurs... Ok, mon écran cathodique prend de la place et pollue, mais je le savais, d'abord !

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