jeudi 31 janvier 2013

Décroissance : tout, mais pas l'escargot

[Ceux qui ne veulent parler que de la décroissance et ne sont pas intéressés par mes digressions sur les emblèmes des autres mouvements politiques, allez directement à la fin de l’article : dès que vous verrez des escargots tout moches, vous êtes arrivés, vous pouvez commencer à lire.]

Il y a quelque chose qui me frappe dans la vie politique française (je n’ai pas vérifié si c’était la même chose ailleurs ou non), c’est l’indigence, la pauvreté, la nullité des emblèmes des partis et mouvements politiques. Et encore, si je dis « emblèmes », je suis bien gentil ; « logos » conviendrait sans doute beaucoup mieux.

Petit tour d’horizon. Commençons par les moins pires. C’est dur, parce que ce ne sont pas des partis que je porte dans mon cœur. Mais il faut bien avouer que le FN et l’UMP ont su faire un peu mieux que les autres :


Côté FN, la flamme, même assez mochement stylisée, donne un côté « feu sacré » qui représente bien l’engagement militant (limite agressif), et le bleu-blanc-rouge est évidemment signifiant. À l’UMP, on retrouve le drapeau tricolore, mais avec quelque chose de plus pacifique, de plus institutionnel : le chêne, symbole de la force et de la majesté, de la sagesse aussi : on pense à saint Louis rendant la justice, voire à l’Arbre de Vie. Le problème, c’est que leur arbre, au fond, il rappelle moins un chêne qu’un brocoli géant. Il est laid, et la beauté étant une valeur fondamentale, c’est de leur part une erreur fondamentale.

Debout La République fait également un peu mieux que la moyenne :


Malgré un nom complètement débile (« Debout La République », c’est un nom de parti, ça ? Et pourquoi pas « Bouge-Toi Le Cul La République Il Est Sept Heures », tant qu’on y est ?), et un slogan encore plus naze (qui n’a pas « une certaine idée de la France » ?), ils font preuve d’un peu de culture dans leur référence à La liberté guidant le peuple de Delacroix. Et même si au passage la liberté y a perdu son fusil (faudrait pas non plus qu’on croie qu’il s’agit d’un parti révolutionnaire, un peu de sérieux).

Si on passe à la gauche, on constate que le PS a gardé le poing à la rose, merci :


Mais il l’a rétréci pour n’en faire plus qu’une (petite) partie de son logo, sur lequel on voit d’abord le sigle (beurk), énorme, gras, épais. Pour montrer quoi ? Que c’est un parti d’élus, et cumulards de surcroît ? Merci du message…

Plus à gauche, il faut décerner une palme à l’abominable mégaphone du NPA, toujours moins affreux cependant que l’ancien logo de son ancêtre la LCR :


Là où la LCR avait un logo franchement commercial (quel paradoxe !), quelque part entre la saucisse « 100% pur porc » et la compote « 100% pur fruit », avec un soupçon d’Église des purs dont on aurait chassé les tièdes et les traîtres potentiels (c’est-à-dire ceux qui pourraient être « 1% à droite »), le NPA nous fait un truc déjà plus politique, mais à peine ; le mégaphone cherche certes à symboliser la voix du peuple, mais en fait il donne surtout l’image d’un parti dont l’action se limiterait aux combats de rue, et pour tout dire aux manifestations. L’action politique réduite à la seule action syndicale, pas étonnant qu’ils soient en chute libre.

Enfin, c’est toujours mieux que ceux qui, malgré sept réunions du Bureau politique consacrées exclusivement à la question, n’ont pas eu la moindre idée et en ont été réduits à prendre leur seul nom comme logo, en l’agrémentant quand même d’une couleur (pour le message politique ? pour faire joli ?). Dénonçons dans cette série le MoDem :


Lui a choisi l’orange. Allusion à la « révolution (hum) orange » en Ukraine ? Si c’est ça, c’est faible, et (souviens-t’en, François !) Ioulia Tymochenko a fini en prison.

On a aussi le Parti de Gauche :


Bon, OK, c’est un parti jeune, mais enfin ils auraient pu se creuser la cervelle, non ? Alors d’accord, le rouge et le vert symbolisent l’union du socialisme (un vrai socialisme, rouge, pas rose, justement) et de l’écologie, mais enfin les couleurs, ça ne fait pas tout ; il faut des formes, mes amis, sinon c’est… eh bien c’est informe, justement.

Dans la catégorie des sans-idées, la médaille du pire revient cela dit au PCF :


Lui avait à l’origine un symbole, un vrai. Le marteau et la faucille, ça avait de la gueule, quand même ; et puis ça voulait vraiment dire quelque chose : l’alliance de tout le prolétariat, les paysans et les ouvriers, le tout sur fond rouge, rouge révolutionnaire car rouge du sang de l’ouvrier, justement ! Ça claquait un peu. Et maintenant, fini, basta, plus rien : « PCF » sur fond rouge, circulez, y a rien à voir. Ça fait ceux qui ont honte de leur passé, qui n’assument pas, qui n’assument plus, mais qui en même temps n’ont rien trouvé pour remplacer le vieux symbole déchu. « Y a plus que du vide à la place », comme chantait Michel Fugain : eux aussi, faut pas qu’ils s’étonnent si on les délaisse.

Deux exceptions à gauche : LO, d’abord, qui a gardé le marteau et la faucille :


Bon, le symbole s’efface peu à peu ; on sent bien que la Révolution, le Grand Soir, c’est plus très vendeur, et que même si on pense à le pendre avec ses tripes, il ne faut pas trop effaroucher le bourgeois. Mais au moins, même en le faisant discret, ils ont su garder un emblème plein de sens : qu’ils en soient remerciés.

EELV ensuite (encore un parti qui a su choisir le nom idéal, vraiment ; essayez de prononcer le sigle, vous verrez, quelle que soit la manière dont on s’y prenne, on n’y arrive pas) :


Eux aussi ont su mettre un peu de sens sur leur logo. Le vert pour l’écologie bien sûr ; le tournesol façon soleil, symbole de nature mais aussi de joie de vivre, presque de « lendemains qui brillent », à défaut de chanter ; et les petites étoiles qui rappellent (pas trop fort, par les temps qui courent, ce ne serait électoralement pas prudent) l’attachement à l’Europe.

Mais bon, même si on prend en compte ces moins pires des logos politiques, on reste effaré par la laideur de l’ensemble. C’est ça, ce qui doit représenter la politique dans notre pays ? Pas étonnant que l’abstention soit le premier parti de France ! Un carré blanc est plus élégant que tout ce qu’on vient de voir…

Pour chercher des emblèmes qui ont un peu de chien, il faut donc se tourner vers des mouvements politiques, disons, alternatifs. Tiens, prenez le blason de Tol Ardor, par exemple (oui, je prêche pour ma paroisse ! Et alors ? J’ai bien le droit, non, c’est mon blog après tout) :


Ça, au moins, c’est un vrai blason, pas un logo tout pourri ! Ou encore la petite sœur, Nildanirmë :




L’ancien blason de Nildanirmë
Le nouveau blason de Nildanirmë

Mais bon, montrons que nous sommes ouverts : même chez les adversaires, on trouve de belles choses. Voyez les méchants du Bloc identitaire, par exemple :


Eux aussi ont su inventer quelque chose qui fasse un peu envie. Le sanglier, ça fait Gaulois grognard, la force brute de décoffrage, les pieds dans la glaise, mais solide, hein.

Bref, s’il fallait conclure, on pourrait dire, sans surprise, que les emblèmes des mouvements politiques reflètent admirablement bien la situation réelle : les partis au pouvoir, traditionnels, institutionnels, font preuve d’un manque d’imagination sidéral dans leurs logos comme dans leur manière de penser la Crise et d’essayer d’y répondre ; l’imagination, l’inventivité sont à chercher du côté des courants marginaux et souvent qualifiés d’extrémistes.

Mais il y a une exception, celle qui confirme la règle, et qui faisait initialement l’objet de ce billet : la décroissance. Voilà un courant politique neuf, imaginatif, inventif, qui ne craint pas de renverser les totems ou de bousculer les tabous, qui imagine des solutions audacieuses aux problèmes que nous rencontrons ; il a une analyse lucide de la situation, il envisage la crise globalement, à la fois dans sa dimension environnementale et dans sa dimension humaine et sociale ; pour tout dire, c’est clairement le courant existant le plus proche de mes idées ou de celles de Tol Ardor. Et quel emblème est-il allé se choisir ? L’escargot.

Oui, vous avez bien lu : l’escargot. Et pas n’importe quel escargot. Voici l’espèce la plus répandue :


On en trouve d’autres, comme celles-ci :


Parfois, on tente de cacher la nature escargotique de la bestiole par une habile stylisation :


Rien n’y fait, l’escargot demeure et on ne voit que lui.

Mais que diable allaient-ils faire dans cette galère ? D’accord, l’escargot est lent. Ce faisant, il symbolise à merveille une partie du message décroissant : une philosophie de la vie, l’amour des choses bien faites plutôt que vite faites, le choix de la lenteur par respect à la fois de la nature et des êtres humains.

Mais après ? C’est un peu léger, jusque-là. Le sentant, certains convoquent Ivan Illich :

« L’escargot construit la délicate architecture de sa coquille en ajoutant l’une après l’autre des spires toujours plus larges, puis il cesse brusquement et commence des enroulements cette fois décroissants. C’est qu’une seule spire encore plus large donnerait à la coquille une dimension seize fois plus grande. Au lieu de contribuer au bien-être de l’animal, elle le surchargerait. Dès lors, toute augmentation de sa productivité servirait seulement à pallier les difficultés créées par cet agrandissement de la coquille au-delà des limites fixées par sa finalité. Passé le point limite d’élargissement des spires, les problèmes de la surcroissance se multiplient en progression géométrique, tandis que la capacité biologique de l’escargot ne peut, au mieux, que suivre une progression arithmétique. »

Purée ! Les maths convoquées pour expliquer un slogan politique, fallait y penser ! Mais bon sang, qui voulez-vous que ça convainque ? Avec mon bac S, j’avais décroché à la troisième ligne…

Bref, pour tous ceux qui ne sont pas docteurs en sciences, l’escargot n’a qu’une seule chose pour lui : sa lenteur. À côté de ça, il bave, il est muet, on le mange, on l’écrase sans faire attention, il n’a pas de cerveau… bref, rien qui puisse susciter la fascination ; le seul animal que les objecteurs de croissance auraient pu choisir de pire eût été la limace ; mais vraiment, on n’en est pas très loin.

L’autre jour, je parlais justement de décroissance à mes élèves de 2nde (le développement durable est au programme et on étudiait une caricature de leur manuel), et quand je leur ai dit que ce courant avait l’escargot comme emblème, ils sont tombés des nues. C’est vrai qu’ici, les escargots sont encore moins sexy qu’en métropole, mais quand même. J’ai bien expliqué ça par la lenteur, mais l’un d’entre eux m’a immédiatement rétorqué : « mais ils auraient dû prendre la tortue ! » Ben oui, Abderemane, c’est ce que je me tue à leur dire ! La tortue a bien plus pour devenir un symbole. Elle a la lenteur, mais elle est belle, elle représente la sagesse ; sa carapace à elle lui sert à quelque chose, on ne risque pas de l’écraser en marchant dessus. Dans Les Annales du Disque-monde, de Terry Pratchett, c’est une gigantesque tortue marine qui vogue à travers l’espace en portant le monde entier sur son dos. Franchement, un truc comme ça, vous ne trouvez pas que ce serait mieux qu’un escargot, pour représenter la décroissance ?


Une autre de mes élèves a proposé le paresseux ; et même si cet animal n’aurait pas ma préférence sur la tortue, il faut avouer que ce serait toujours mieux que l’escargot. En plus de la lenteur, le paresseux a un côté sympa, pas trop sérieux, un peu hippie qui ne se prend pas la tête. On pense à Gaston Lagaffe s’endormant au milieu des paresseux et de son reportage.

Bref. Je sais que beaucoup de décroissants considèrent l’escargot comme définitif. Certains parce qu’ils le trouvent vraiment chouette (WTF ?), d’autres parce qu’ils estiment que le consensus qui s’est fait autour de lui dans le milieu lui donne sa légitimité. Mais détrompez-vous, mes amis objecteurs de croissance : votre mouvement est un courant jeune, il survivra à cette révolution. Et je vous le dis, la population n’adhérera jamais massivement à un groupe qui se représenterait comme vous le faites. Avec un petit clin d’œil à mes amis Ardoriens, je dirais qu’il y a des fois où il faut savoir changer de blason.

2 commentaires:

  1. Absolument pas d'accord ! L'escargot est génial : oui il est fragile et petit, mais l'humilité ne serait pas du luxe dans notre monde actuel. Oui il est baveux et répugnant : mais l'Homme doit bien descendre de son piédestal pour faire ses besoins lui aussi (sac de sang, outre d'urine en disait Epictète) ? Et moi, ce n'est pas tant la lenteur que je retiens de l'escargot, mais c'est l'harmonie.

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  2. Non, Teli, pas toi ! ^^

    Oui, un peu d'humilité ne serait pas du luxe. Mais bon, de là à choisir l'escargot ! Pourquoi pas la limace, encore plus humble puisqu'elle n'a même pas de coquille...

    Et oui, l'homme est AUSSI un sac de sang et une outre d'urine. Mais il n'est pas QUE cela. Donc pas la peine de prendre notre côté mollusque pour en faire un emblème !

    Non, décidément, tu me renforces dans l'idée que les arguments pour l'escargot sont bien faibles et que ma tortue serait bien meilleure. Pense à l'hilarité de mes élèves ! Cet escargot est une erreur stratégique majeure.

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