lundi 16 décembre 2013

L'Église nous demande notre avis (et c'est pas tous les jours)

Sautez sur l’occasion : pour une fois, l’Église catholique vous demande votre avis sur quelque chose. Un questionnaire circule pour préparer le Synode d’octobre prochain sur la famille. Évidemment, comme c’est une première, c’est un peu brouillon : le Vatican a envoyé ça aux conférences épiscopales partout dans le monde, mais apparemment sans consignes claires sur ce qu’il fallait en faire ; du coup, certaines ont relayé auprès des paroisses ou des diocèses, avec consigne de faire remonter l’avis des laïcs vers la hiérarchie ; alors que d’autres (en France par exemple, ahem) n’ont pas fait ce travail de diffusion, à l’exception de quelques diocèses (il me semble que quelque part dans le Nord, ils ont organisé un Synode diocésain).

Mais bon, ne nous laissons pas abattre : la magie d’Internet nous offre une chance de vaincre les pesanteurs épiscopales et l’inertie hiérarchique ! Je vous propose donc ma réponse à ce questionnaire, réponse pour l’instant toute personnelle, mais que je compte soumettre à la prochaine Assemblée locale de Tol Ardor pour en faire une réponse (un peu plus) collective.

NB : Il est évident que j’invite tous mes amis, en particulier cathos, à remplir ce questionnaire, à le diffuser autour d’eux, et surtout à le renvoyer aux « autorités compétentes », en l’occurrence à votre évêque. Le questionnaire d’origine est assez complexe (organisé en 39 points parfois très techniques). Vous pouvez trouver l’original ici, si vous êtes intéressé ; de mon côté, je n’ai repris que les neuf points de base, et il est évident que vous pouvez faire de même. Il faut être rapide cependant, la consultation des laïcs prend fin à la fin du mois de janvier. Enfin, la CCBF est intéressée par vos réponses : vous pouvez lui renvoyer les questionnaires complétés à synodefamille@baptises.fr.

1. Sur la diffusion des Saintes Écritures et du Magistère de l’Église concernant la famille.

Commençons par une évidence : le Magistère de l’Église sur la famille et la sexualité n’est pas respecté. Il ne l’est pas par les non catholiques, bien sûr, mais il ne l’est pas non plus par les catholiques, même pratiquants. Ces derniers agissent à peu près comme si de rien n’était, se masturbent, ont des relations homosexuelles quand ils sont homosexuels, utilisent la contraception, avortent même parfois. Ils le font avec plus ou moins de bonne conscience, plus ou moins de culpabilité et de souffrance, mais dans leur immense majorité, ils le font.

Est-ce parce que l’enseignement de l’Église ne leur serait pas connu ? De toute évidence, il l’est peu, ou plutôt il est bien connu dans ses très grandes lignes, pas du tout dans les détails. Et c’est vrai y compris des catholiques, et même des pratiquants. Rarissimes en effet, même parmi les déjà rares qui vont à la messe tous les dimanches, sont ceux qui ont lu, ou même qui connaissent l’existence de Gaudium et spes ou de Familiaris consortio.

L’immense majorité des gens, catholiques ou pas, ne retiennent donc du Magistère qu’une liste de condamnations toutes plus exotiques les unes que les autres : refus de la sexualité hors mariage, refus de la masturbation, refus de la contraception, refus des actes sexuels qui ne sont pas « ouverts sur la vie », refus de l’homosexualité, refus de l’avortement quels qu’en soit la date et le motif.

Bien sûr, ils connaissent mal ou pas du tout les argumentaires développés par l’Église pour justifier ces positions. Mais est-ce vraiment bien le problème ? Moi qui les connais, je suis bien placé pour dire qu’ils ne sont pas convaincants du tout. J’ai longuement discuté de cela avec des prêtres ou des intellectuels catholiques, et ils n’ont jamais réussi à me convaincre sur aucun de ces points ; j’ai toujours estimé que la discussion révélait au contraire les impasses logiques, théologiques et intellectuelles dans lesquelles ils s’enferraient.

J’affirme donc que si le Magistère de l’Église sur les questions de famille et de sexualité n’est pas respecté, ce n’est pas d’abord parce qu’il n’est pas connu, mais avant tout parce qu’il est, au fond, indéfendable en raison.

2. Sur le mariage selon la loi naturelle.

Là encore, il y a un malentendu. Il est vrai que la notion de « loi naturelle » est assez obscure pour nombre de catholiques, même pratiquants – ne parlons pas des non croyants. Mais ce n’est pas le problème. La frontière n’est pas tant entre ceux qui croient qu’il y a une loi naturelle et ceux qui ne le croient pas. D’ailleurs, ces derniers sont assez rares : l’immense majorité de la population, quelles que soient ses croyances, accepte intuitivement, instinctivement, l’idée de loi naturelle, même s’ils ne l’appellent pas ainsi. C’est au nom de ce principe supérieur que, par exemple, aucune société développée n’accepterait de légaliser l’infanticide ou les actes de cruauté envers les animaux. Ils n’appellent peut-être pas cela « loi naturelle » ou « volonté de Dieu » (deux expressions absolument synonymes), mais ils croient tout de même, à de rares exceptions près, à des principes moraux transcendants et absolus.

La véritable frontière divise donc plutôt différentes visions de ce qu’est la loi naturelle. Ainsi, de mon point de vue de catholique pratiquant, j’affirme que le mariage ou la possibilité d’adopter des enfants pour les couples homosexuels est parfaitement conforme à la loi naturelle. Ce n’est pas le lieu, dans ce questionnaire, de développer les arguments en faveur de cette position : je l’ai longuement fait ailleurs. Mais il est important de reconnaître qu’accepter le principe de « loi naturelle » est une chose ; croire que l’Église en a une vision correcte en est une autre, bien différente.

De ma position découle naturellement l’idée que l’Église devrait, pour se rapprocher de la volonté de Dieu, réformer ses positions morales et adapter ses rites et ses pratiques en conséquence.

3. La pastorale de la famille dans le contexte de l’évangélisation.

Les familles me semblent le lieu essentiel de transmission de la foi. Mais elles rencontrent un obstacle majeur : même une culture familiale forte ne fait plus le poids face au refus de l’enseignement de l’Église dans la majorité de la société. Un enfant a beau avoir été formé dans la foi la plus solide, dans la prière et les rites, il aura bien du mal, devenu adolescent puis adulte, à résoudre la contradiction entre ce qu’on lui aura appris et l’évidence du monde dans lequel il vit ; et ce d’autant plus que les points précédents ont montré qu’il n’aura pas les outils argumentatifs qui lui permettrait de le faire en faveur du Magistère.

En conséquence, il risque fort de s’éloigner de l’Église, plus ou moins violemment, puis de se couper d’elle. Pour éviter cela, il me semble donc que les familles doivent être le premier lieu de résistance à un enseignement non seulement faux, mais extrêmement dangereux pour l’avenir de l’Église elle-même, car il contribue dramatiquement à la vider de ses forces vives.

4. Sur la pastorale pour affronter certaines situations matrimoniales difficiles.

Sur ce point particulier, on ne peut que répéter ce qui a été dit au 1. : oui, les catholiques, même pratiquants, vivent en couple et ont des relations sexuelles avant le mariage ; oui, certains vivent « en union libre, sans reconnaissance aucune, ni civile ni religieuse » ; oui, certains se séparent, et parfois se remarient.

Coller, comme on nous demande de le faire, des pourcentages à ces réalités indéniables est évidemment bien difficile. Sauf sur un point : le taux de catholiques pratiquants qui ont des relations sexuelles avant le mariage est très probablement supérieur à 90%.

Comment les baptisés vivent-ils ces « situations particulières » ? Cela dépend de beaucoup de facteurs. On ne vit pas de la même manière l’interdiction de la communion après un remariage ou le fait d’avoir, à 25 ans, des relations sexuelles sans être marié. De même, tous n’ont pas la même histoire, les mêmes principes, les mêmes idées, le même ressenti. Certains sont indifférents. D’autres souffrent, parfois beaucoup.

D’après mon expérience, l’enseignement de l’Église est surtout source de souffrance, chez les pratiquants, pour les homosexuels et les divorcés remariés. Les uns comme les autres vivent le discours et les pratiques de l’Église comme une véritable exclusion, voire une manifestation de haine, et comme un rejet de ce qu’ils sont, de leur histoire ou d’une part de leur identité.

Que faire ? ­À partir du moment où la doctrine de l’Église en la matière me semble absolument fausse, il est évident que je ne prône pas la mise en place de « programmes pastoraux adaptés ». C’est au contraire la doctrine même de l’Église qu’il s’agit de changer, en en tirant toutes les conséquences : libre accès à la communion pour les divorcés remariés, remariages religieux, mariages religieux pour les couples homosexuels.

Petite parenthèse à propos des couples divorcés remariés : une facilitation des annulations de mariage pourrait-elle représenter une solution ? Assurément pas. Ce serait éminemment hypocrite. La plupart des mariages qui échouent ont pourtant été, en toute objectivité, parfaitement légaux du point de vue du droit canon. On ne gagnera rien à ménager la chèvre et le chou, c’est-à-dire à vouloir sauver à la fois l’idée que la doctrine de l’Église est juste, mais que les situations particulières des divorcés remariées sont justes aussi. En outre, il y a quelque chose de malsain à vouloir effacer un pan entier de l’histoire d’une personne, à lui dire : « en fait, vous n’avez jamais été marié ». Si, une personne divorcée a été mariée, mais son mariage a été un échec. Toute autre proposition est, au fond, un mensonge.

Et j’insiste : j’invite toute personne qui verrait des empêchements théologiques à tout cela à venir m’en parler ; je suis prêt à un débat public sur toutes ces questions.

5. Sur les unions de personnes de même sexe.

La France a légalisé le mariage et l’adoption pour les couples de même sexe. En tant que catholique pratiquant, je m’en réjouis sans la moindre réserve. L’Église de France s’est très largement mobilisée contre ce texte, et à mon sens elle, dans la manière dont elle l’a fait, s’est déshonorée de la dernière manière.

Que des évêques s’expriment contre la proposition de loi, c’était leur droit le plus absolu. Mais ils auraient dû entendre la profonde division des catholiques, même pratiquants, sur ce sujet, et en tirer la conclusion qui s’imposait : ils ne pouvaient parler qu’en leur nom propre, pas au nom de l’Église tout entière, car « nous sommes aussi l’Église ». À tout le moins, même quand ils choisissaient de répéter la position officielle de l’Église, ils avaient le devoir de souligner que tous n’étaient pas d’accord avec elle.

Tout au contraire, ils ont choisi, délibérément, d’ignorer, de mépriser, d’étouffer les voix discordantes qui cherchaient pourtant à se faire entendre. Ils ont exigé un débat dans la société qu’ils ont refusé catégoriquement de mener au sein de l’Église. Ainsi, ils ont accentué le malaise dans l’Église de France. Aujourd’hui, ils n’ont toujours pas clairement fait amende honorable, ce qui empêche la cicatrisation des blessures internes et la réduction de la fracture qui nous divise. Ils contribuent donc à ce que les adversaires d’hier ne se reparlent pas.

Aujourd’hui, il faut tourner la page de la lutte pour ou contre la loi Taubira ; mais cela ne pourra se faire que si les catholiques favorables à ce texte sont pleinement et publiquement reconnus a posteriori, à défaut de l’avoir été pendant le débat.

6. Sur l’éducation des enfants au sein de situations de mariages irréguliers.

Il est nécessaire aujourd’hui que l’Église se pose très sérieusement la question de savoir si ce qu’elle a toujours considéré comme « irrégulier » est vraiment contraire à la volonté divine. Un débat franc et ouvert qui donnerait la parole à tout le monde permettrait, je pense, de répondre « non ». Et on dissiperait ainsi nombre de faux problèmes.

7. Sur l’ouverture des époux à la vie.

Encore une question qui ouvre la porte à moult malentendus. Non, les catholiques, même pratiquants, et a fortiori les non pratiquants ou les non chrétiens, ne connaissent en effet pas bien Humanæ vitæ. Mais encore une fois, c’est tant mieux, car cette encyclique est d’une telle viduité intellectuelle, d’une telle fragilité théologique que, mieux connue, elle ne pourrait guère que contribuer à éloigner davantage encore les chrétiens de l’Église. Déjà, lors de sa publication en 1968, elle avait été un rude coup pour tous ceux qui avaient nourri quelque espoir de voir Vatican II permettre une évolution de la doctrine morale de l’Église. Dans le contexte actuel, elle semblerait encore plus ridicule et inadaptée à la réalité de ce que nous vivons.

Le questionnaire nous invite à réfléchir à « l’évaluation morale des différentes méthodes de régulation des naissances ». Que l’Église n’a-t-elle mené elle-même la réflexion à laquelle elle nous incite ! Elle se serait peut-être rendu compte que rien, absolument rien, ne s’oppose théologiquement aux méthodes habituelles de contraception (pilule contraceptive, préservatif, stérilet). De même, elle aurait peut-être compris que, dans un monde aux ressources finies, la croissance de la population humaine doit elle aussi être limitée.

Faute d’une telle réflexion, l’Église vit dans une bulle, dans une tour d’ivoire, loin, très loin de la réalité, du quotidien des fidèles. Sans surprise, ces derniers se moquent éperdument de ses commandements en la matière. Ainsi, puisque la question est évoquée, il est évident que jamais, lors de mes confessions, je ne mentionne mon (notre) usage de la contraception. Cela, en fait, ne me viendrait même pas à l’esprit, tant il est évident pour moi que je ne commets en la matière pas le moindre petit péché.

Dieu merci, l’éducation civile est un peu plus responsabilisante que l’éducation religieuse, sans quoi je ne sais pas où nous en serions. En l’occurrence, la question qui clôt cette partie du questionnaire, et qui invite à réfléchir au meilleur moyen de « favoriser la croissance des naissances », me semble proprement criminelle dans le contexte écologique actuel.

8. Sur le rapport entre la famille et la personne.

Bien sûr que vie de famille et vie de la foi ont une incidence l’une sur l’autre. Bien sûr que la famille est un lieu particulier d’épanouissement et de rencontre avec le Christ.

Pour autant, est-elle forcément le meilleur lieu d’une telle rencontre ? Il me semble qu’à l’heure actuelle, l’Église tend à considérer qu’il n’y a que deux modèles de vie valables : le mariage et la famille d’une part, le sacerdoce d’autre part. Or, entre les deux, il y a tous ces gens qui ne se sont jamais mariés, qui n’ont jamais fondé de famille, mais qui n’ont pas non plus entendu d’appel à devenir prêtres. J’ai souvent parlé avec eux de la souffrance qu’ils ressentaient de voir que l’Église ne parlait jamais d’eux, ne s’adressait jamais spécifiquement à eux. Elle parle aux prêtres, elle parle aux familles, elle parle aux couples, elle parle aux jeunes (c’est-à-dire aux futurs mariés et aux futurs prêtres), elle parle aux vieux (c’est-à-dire aux ex-mariés et aux ex-prêtres) ; mais rien, rien de rien, pour les laïcs célibataires et sans enfants. Il y a là un grand vide à combler d’urgence ; mais bien sûr, pour combler ce vide, il faut corriger les erreurs théologiques sur lesquelles il repose.

9. Autres défis et propositions.

Le questionnaire n’aborde absolument pas le sujet de la place et du rôle des femmes dans l’Église. Or, il me semble qu’il est lié à ceux qui sont abordés ici. L’Église, là encore, commet une erreur théologique fondamentale, encore une fois liée au sexe, au fond, en ne comprenant pas que tout, absolument tout, ce qu’un homme peut faire, une femme peut aussi bien le faire, ou en croyant que Dieu réserve certains rôles aux hommes et d’autres aux femmes, ou en croyant qu’Il est plus masculin que féminin. Il y a là, à mon sens, un autre défi des plus urgents à relever, et qu’on ne peut pas vraiment dissocier des précédents.

Enfin, l’Église devrait engager une réflexion sur les études de genre, pour se rendre compte qu’elles ne sont pas le travail de Satan que certains dépeignent.

2 commentaires:

  1. J'ai reçu le questionnaire, comme membre du conseil diocésain de pastorale (signe positif : on sollicite même des tordues comme moi pour faire partie de ce conseil :D ).
    je suis d'accord avec à peu près tout ce que vous dites ici - je nuancerais la réponse à la première question, globalement je pense que l'énorme majorité des cathos ignore l'enseignement de l'Eglise sur ces questions, et que c'est bien d'abord par ignorance qu'il n'est pas respecté. et je serais moins certaine que vous qu'il le resterait s'il était pleinement explicité, quoique nous pensions, vous et moi, de son irrationnalité.

    Ceci dit, ce qui m'a le plus gêné dans le questionnaire, auquel du coup je n'ai toujours répondu, c'est bien que les situations "irrégulières" sont dès l'abord pointées comme telles. Même en admettant que l'Eglise ait totalement raison sur ces points, je trouve que formuler l'enquête en ces termes est très révélateur d'une position qui par définition n'est pas celle du dialogue et de l'écoute. La question n'est pas "quelle proportion de gens en situation irrégulière avez-vous dans votre communauté ?", ou en tout cas ne devrait pas l'être, mais une question ouverte, genre "quelles sont les formes de vie affective et familiale présentes dans votre communauté ?" Et secondairement "que disent les familles - toutes les familles - de votre communauté de la manière dont l'Eglise les considère, ou dont elles pensent que l'Eglise les considère". Là, on met tout de suite le doigt sur "bouh ! pas bien ! enseignement de l'Eglise pas compris (les cruches !) / pas respecté (les faux cathos !) ", voire sur "aaaaah ! familles en souffrance !!!". Le questionnaire ne laisse pas la place à une description neutre ou bienveillante.

    Après, effectivement, ce questionnaire a le mérite d'exister, et ce n'est pas rien... Je vais sans doute y répondre quand même avant la date limite, entre deux chocolats de noël !

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  2. Une telle bienveillance existerait au sein de l'église ?

    A vous lire, il parait si simple de remplir les églises... tout simplement en prenant un peu de hauteur...

    un baptisé ayant renié les croyances familiales, dès l'adolescence, devant toute la cécité et les incohérences que vous exprimez si bien.

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