mardi 4 février 2014

Nul n'est censé ignorer la loi, sauf le proc'


Vers le début de la grande aventure humaine qu’est ce blog, j’avais déjà écrit un billet dans lequel je me demandais si la justice française ne fonctionnait pas un peu à deux vitesses, condamnant plus facilement (et plus durement) le citoyen lambda que le policier qui cherche à rejeter sa propre faute sur un innocent ou que l’homme politique détournant des millions d’euros publics au profit de son parti.

Une nouvelle affaire vient souligner que, décidément, je n’avais pas tort de répondre par l’affirmative : il s’agit de la manière dont le Conseil Supérieur de la Magistrature a choisi de ne pas sanctionner le procureur Philippe Courroye (qui portait mieux son nom du temps de Sarko, mais passons).

Petit rappel des faits : Philippe Courroye, alors procureur de Nanterre et chargé de l’affaire Bettencourt, avait illégalement réclamé les fadettes de deux journalistes du Monde afin de découvrir leurs sources. Que ce qu’a fait Philippe Courroye était illégal, personne ne le conteste : sa procédure a été annulée par la Cour d’appel de Bordeaux le 5 mai 2012, décision confirmée par la Cour de cassation le 6 décembre suivant.

Lesdits journalistes avaient donc porté plainte contre lui. Mais la plainte n’avait pas abouti, suite à un cafouillage de calendrier déjà bien critiquable : « à la date de la mise en mouvement de l’action publique, aucune décision définitive n’avait encore constaté le caractère illégal des réquisitions du parquet de Nanterre ». Pour ma part, j’avoue ne pas bien comprendre pourquoi, une fois que l’illégalité des actions du procureur avait bien été établie, il n’était plus (ou toujours pas) possible de le mettre en examen, mais bon, c’est comme ça : il avait violé la loi, tout le monde le savait et le reconnaissait, mais il ne pouvait pas être mis en examen. Déjà, ça agace, non ? S’il n’avait pas été procureur, est-ce que ça se serait passé de la même manière ?

Mais il restait une possibilité : parallèlement à cette procédure judiciaire mort-née, Philippe Courroye devait faire face à une enquête disciplinaire. À défaut d’une condamnation en justice, on pouvait encore espérer une sanction disciplinaire de la part du Conseil supérieur de la magistrature. C’eût été mieux que rien. Ça semblait bien parti : le rapport de Christian Raysséguier, rapporteur de l’affaire devant le CSM, dresse un réquisitoire sévère à son encontre. Le CSM lui-même reconnaît et les faits, et leur caractère illégal.

Philippe Courroye va donc être sanctionné, vous dites-vous ? Eh bien non. Ah non ? Non. Parce que voyez-vous, selon le CSM, si Philippe Courroye a bien violé la loi, on ne peut pas être certain qu’il savait qu’il la violait. Ah. Je croyais que nul n’était censé ignorer la loi. Ah, c’est vrai ? Alors le simple citoyen ne peut pas se prévaloir de sa méconnaissance de la loi pour ne pas la respecter, mais le chef du troisième parquet de France, lui il peut ? Aïe ! Ça fait mal à l’ouvrier. Et c’est surtout très étonnant, et très inquiétant.

Vous trouvez ça suspect ? Ben oui, forcément. Quelques infos complémentaires : Philippe Courroye, très proche des chefs de l’UMP (Sarko lui donne du « mon cher Philippe » et il ne se gêne pas pour dîner avec Chirac alors même qu’il a la charge d’un dossier dans lequel ce dernier est mis en examen), a été jugé par le CSM, dont une beaucoup de membres ont été nommés… par l’UMP quand il était au pouvoir.

Voilà, c’est tout. Ça en dit long, je trouve, sur l’état de déliquescence de notre système judiciaire. Je n’ai pas d’idée bien précise de la manière dont il faudrait réformer le CSM (je n’y ai pas autant réfléchi qu’au statut des avocats et des magistrats du parquet), mais ce qui est clair, c’est qu’il faut le réformer.

Et comme je me suis beaucoup appuyé sur un billet du blog Libertés surveillées, et que même si je suis content de diffuser l’info, j’aime bien ajouter mon petit grain de sel, je vous propose un petit sonnet inspiré de Péguy :


Comme il avait géré le parquet de Nanterre
Et que les grands aimaient son humble servitude,
On mit sous sa barrette et son inquiétude
Le flicage incessant des journaux délétères.

Et comme il surveillait les pauvres vacataires
Qui rédigeaient leurs piges en toute quiétude,
Il surveille aujourd’hui, payé d’ingratitude,
Ce qu’il peut surveiller d’un œil totalitaire.

Et quand le soir viendra de la décrépitude,
Quand Copé entrera, la démarche légère,
Au centre des pouvoirs et des béatitudes,

Lui réalisera son vœu sécuritaire,
Saisissant, la main ferme, et avec promptitude,
L’hôtel de Bourvallais et tout son ministère.

2 commentaires:

  1. La plainte pénale n'a pas encore abouti, elle est toujours à l'instruction et on ne désespère pas :-)

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