vendredi 7 mars 2014

À bas les professions libérales : traitons les médecins comme des sages-femmes


Pas contentes, les sages-femmes. Elles ont bien compris, dans l’ensemble, qu’avec son « statut médical » qui n’est quand même pas le statut de « praticien hospitalier » qu’elles réclament, Marisol Touraine, le ministre de la santé, les balade allègrement. Elles se doutent bien, en particulier, que de l’augmentation salariale qu’elles espéraient, elles ne verront pas trop la couleur. Mais aussi, qu’est-ce qu’elles croyaient ? Le point d’indice des fonctionnaires est bloqué depuis Sarkozy, c’est la crise (ma bonne dame), et elles s’imaginaient qu’on allait leur donner subito le salaire d’un médecin ? Soyons sérieux.

Cela étant, leurs revendications sont-elles injustes ? Non, au fond. Comme les médecins, elles peuvent prescrire, disent-elles ; elles demandent à être traitées comme les médecins. On peut les comprendre.

Pour ma part, je ne crois pas qu’il faille traiter les sages-femmes comme les médecins ; je crois plutôt qu’il faudrait traiter les médecins comme des sages-femmes. Transformons les médecins en fonctionnaires ! À dire vrai, ils en ont déjà tous les avantages. Qui paye les médecins ? Certainement pas leurs patients : c’est la Sécurité sociale, donc l’État. Qui leur assure un emploi sans aucun risque, en parfaite sécurité, et la rente perpétuelle de leur salaire ? L’État. Idem pour les pharmaciens, d’ailleurs.

Puisque ces gens ont tous les avantages de la fonction publique, que n’en ont-ils les inconvénients ? Les salaires encadrés par une grille, les horaires imposés, et surtout la mutation sur un lieu déterminé en fonction de la nécessité du service. Les médecins sont payés par l’État, mais en tant que profession libérale, ils peuvent s’installer où ils veulent ; et après, on s’étonne qu’il y ait des déserts médicaux. Cette blague ! Si on laissait les profs s’installer où ils veulent, où ils trouvent des élèves, il y aurait aussi des déserts éducatifs, vous pouvez m’en croire.

Les médecins n’ont aucune raison de rester une profession libérale. Faisons d’eux des fonctionnaires, ou plutôt forçons-les à assumer leur statut de fonctionnaires ; et, pour faire bonne mesure, transformons toutes les cliniques privées en hôpitaux publics. On réglerait d’un coup bien des problèmes, et tout particulièrement les grandes inégalités devant la santé : inégalités entre les déserts médicaux et les régions où il y a tant de médecins que les jeunes ont parfois du mal à trouver leur patientèle ; inégalité entre les plus riches, qui peuvent s’offrir le luxe des médecins non conventionnés ou des cliniques prestigieuses, et les autres. La consultation et les traitements seraient gratuits, on éviterait ainsi toute la lourdeur bureaucratique qu’impose le système de remboursement a posteriori par la Sécu et les mutuelles, et on ferait du même coup de belles économies.

Les médecins avancent, évidemment, tout un tas de raison pour rester libres de gagner plus d’argent. Je n’en ai jamais entendu une bonne. La qualité des services ? Que je sache, les juges, les professeurs, les policiers, les infirmiers, les procureurs, les soldats, les sages-femmes (justement) ne font pas spécialement du sale boulot, alors qu’ils sont fonctionnaires. Comme partout, il y a de bons profs et de mauvais profs, de bons flics et de mauvais flics, de bons médecins et de mauvais médecins : le statut n’a rien à voir là-dedans. Les exemples britannique et américain des années 1980 ont bien montré que la libéralisation des professions ou des services publics ne rendaient pas ces derniers plus efficaces. Bien au contraire, il faudrait peut-être se dire que ceux qui entrent dans cette profession pour l’argent qu’ils y gagneront ne seront pas forcément les meilleurs praticiens.

Et ce que je dis là vaut aussi pour bien d’autres professions libérales. Oui, vous, là, les avocats ! Vous croyez que je ne vous vois pas, à essayer de rentrer la tête dans votre robe, de vous cacher derrière un poteau pour éviter mon ire ? Vous non plus, vous n’avez aucun raison de rester une profession libérale ! Il faut une relation de confiance entre un avocat et son client ? Un avocat doit pouvoir refuser un client ? Pas de problème, on va vous pondre un décret sur mesure, tenant compte des besoins de votre profession ; ce n’est nullement incompatible avec un passage dans la fonction publique.

Je ne suis pas communiste. Je ne suis pas un partisan de l’État partout. Mais les hommes ont droit à un certain nombre de choses, dont une éducation, la sécurité, mais aussi les traitements médicaux, ou une défense en justice ; c’est le travail de l’État que de les leur fournir. Ce sont, tout simplement, des services publics ; il n’y a pas de raison que des services publics soient assurés par d’autres institutions que celles de l’État.

1 commentaire:

  1. Je suis totalement d'accord !
    Un médecin de ma connaissance m'a dit un jour qu'on payait plus cher pour faire soigner son chien que pour se faire soigner, et qu'il ne trouvait pas ça normal (l'idée était de libérer les tarifs de consultation, évidemment). Autant dire que quand j'évoque l'idée d'une nomination d'office dans un endroit donné (ne serait-ce qu'en contrepartie d'une formation qui reste quasi gratuite), même temporaire, je me fais traiter de staliniste...

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