mercredi 23 mars 2016

Le Parti unique à l’épreuve de ses propres conneries


Notre démocratie représentative n’est évidemment pas – encore – un totalitarisme, sans quoi je ne pourrais même pas publier ces lignes. Si l’on peut parler de « Parti unique » pour qualifier l’échiquier politique actuel, ce n’est donc bien sûr pas dans le même sens qu’on pouvait le faire dans les véritables totalitarismes, où tous les partis étaient interdits pour de bon, exception faite de celui qui tenait le pouvoir.

Pourtant, il y a bien quelque chose du parti unique dans notre société. Comme je l’ai démontré ici ou , il y a de moins en moins de différences entre les partis dits de gauche et les partis dits de droite, à l’exception de leurs extrêmes. Le PS, la nébuleuse centriste et LR ont en commun de vouloir conserver, fondamentalement, le cadre politique (la démocratie représentative) et économique (le capitalisme libéral) actuel. Les partis dits extrémistes (même si « radicaux » serait probablement préférable), eux, veulent en sortir (je ne me prononce pas sur les intentions du FN, qui me semblent en la matière particulièrement obscures).

Ce rapprochement idéologique entre la « droite de gouvernement » et la « gauche de gouvernement » se voit particulièrement bien dans le fait que les politiques qu’ils mènent quand ils sont au pouvoir sont de plus en plus indifférenciables. Même les sujets de société les opposent de moins en moins : c’est le PS qui a fait la loi Taubira, mais soyons honnêtes, LR auraient pu faire à peu près la même chose (au Royaume-Uni, ce sont les conservateurs qui ont fait le mariage homosexuel, et franchement, ils ne sont pas plus futés que les nôtres) ; d’ailleurs, l’opposition de la droite à cette loi a été purement opportuniste, et non pas motivée par de réelles convictions, comme le prouvent les retournements de veste en série qui ont eu lieu depuis. Comme je le disais dernièrement dans un autre billet, finalement, ce qui distingue en France le centre, le centre-gauche et le centre-droit, c’est de plus en plus une clientèle, de moins en moins des idées ou une politique.

La prochaine présidentielle pourrait d’ailleurs rendre cet état de fait plus visible ; un bon score de l’extrême-droite pourrait bien donner naissance à une nouvelle alliance politique allant, mettons, de Hollande à Sarkozy, en passant par Macron, Valls, Bayrou, Juppé, Fillon et j’en passe. Un tel rassemblement se heurterait naturellement à l’histoire et aux préjugés de chacun, mais serait idéologiquement bien plus cohérent que l’actuel PS, déchiré entre une aile droite et une aile gauche qui n’ont plus grand-chose en commun (mis à part des intérêts électoraux – et c’est certes déjà beaucoup).

Or, ces partis « de gouvernement » sont, par définition, les seuls qui peuvent espérer gouverner. Les partis radicaux, eux, se heurtent à un plafond de verre plus ou moins rapproché qui les empêche d’accéder aux responsabilités (j’ai du mal à croire que, dans l’état actuel des choses, même Marine Le Pen puisse être élue à la présidence de la République sans avoir auparavant profondément adouci au moins son discours pour le faire ressembler, justement, à celui des partis de gouvernement). C’est en ce sens qu’on peut parler de parti unique pour notre démocratie : ce sont toujours les partisans des mêmes idées qui se retrouvent aux commandes ; et manque de bol, ce sont les partisans d’idées débiles qui font la preuve de leur échec depuis des décennies.

On se rend tout particulièrement compte et de leur proximité, et de leur bêtise, à l’occasion des attentats terroristes. Les attentats de Bruxelles, pour tristes qu’ils soient, sont tout sauf une surprise ; on ne court pas un grand risque en affirmant que la série noire va continuer. Les causes profondes du terrorisme sont toujours là, et pour longtemps ; or, assurer la sécurité de tous est parfaitement impossible. Qu’on mette des portiques à l’entrée des aéroports, et plus seulement des salles d’embarquement, il y aura des files d’attentes devant ces portiques, et c’est là que se feront sauter les kamikazes. Il y aura toujours des rassemblements de plusieurs dizaines ou centaines de personnes qui ne pourront pas toutes être fouillées, et de tels rassemblements, inévitables, seront toujours des cibles de choix pour les terroristes.

Comme je l’ai démontré ici à plusieurs reprises, la surveillance généralisée par les États et leurs services de renseignement est tout aussi inutile ; ce qui vient de se passer en apporte une nouvelle preuve. Nous sommes déjà surveillés à l’extrême, et les attentats continuent ; jusqu’où voulons-nous aller ? De toute manière, il faut bien comprendre qu’aussi loin que nous allions, le problème ne disparaîtra jamais : si les États se mettaient à surveiller tout le monde tout le temps, les terroristes changeraient de stratégie. Ils ont déjà commencé : les groupuscules et les cellules actives sont déjà de plus en plus petits ; qu’on les surveille davantage, et ce seront des loups solitaires qui prendront le relais. Vous pouvez, avec beaucoup d’efforts et à un prix mortel pour la liberté, empêcher un petit groupe de poser une bombe dans un avion ; mais vous ne pourrez pas éviter un terroriste isolé qui égorgera dix personnes dans la rue avant de se faire abattre ou arrêter. L’État ne peut pas – encore – lire dans l’esprit des gens.

Inutile, cette surveillance généralisée de nos vies privées par les États est surtout dangereuse pour nos libertés, ce n’est plus à démontrer. Pourtant, nos joyeux politiciens essayent bravement de continuer à l’accroître. La récupération politique ne tardant jamais trop longtemps de nos jours, ils n’ont cette fois-ci pas attendu 48 heures avant de se lancer dans de nouvelles diatribes. Leur cible privilégiée ces jours-ci : le Parlement européen, qui a eu l’audace de ne pas inscrire l’examen du PNR, le fichier des passagers aériens, à son ordre du jour.

Le PNR, pour ceux qui ne connaissent pas, serait un gigantesque fichier qui enregistrerait systématiquement un certain nombre de données sur chaque passager prenant l’avion en direction ou en provenance de l’Union européenne : identité, coordonnées, dates et heures de départ et de retour etc. Le bonheur, quoi. Depuis deux jours, tous, de droite ou de gauche, n’ont qu’un seul mot à la bouche : ne pas l’avoir examiné, et surtout accepté, de la part du Parlement, c’est « irresponsable ». Toujours la même rengaine : je restreins les libertés sous le coup d’une émotion populaire, je suis responsable ; si tu prends le temps de réfléchir un peu, tu es irresponsable. Bon.

La question est alors de savoir si nos politiciens en sont inconscients ou s’ils s’en moquent. Je suis, pour ma part, convaincu qu’ils connaissent parfaitement le danger pour les libertés, mais qu’ils s’en moquent. Pourquoi ? Justement parce qu’ils ont également conscience d’être les membres d’une sorte de parti unique. Ils savent très bien qu’au fond, centre, centre-droit et centre-gauche partagent une même vision du monde et, bien plus important encore, des intérêts communs ; et comme ils voient bien à quel point le Système est puissamment verrouillé pour leur assurer le pouvoir, ils se disent qu’ils n’auront jamais, eux, à subir les conséquences de ce qu’ils imposent au bas-peuple.

Et c’est là qu’ils commettent une erreur qui finira par leur être fatale. Car ils ont oublié une leçon fondamentale de l’Histoire : c’est que si tout système est évidemment plus ou moins bien verrouillé pour assurer aux puissants de conserver leur puissance, aucun ne l’est suffisamment pour demeurer éternellement. Ai-je dit que les partis extrémistes ou radicaux ne pouvaient pas accéder aux responsabilités ? J’ai bien précisé : « dans l’état actuel des choses ». Une crise majeure, par exemple économique ou écologique, pourrait tout changer. Sans le puissant moteur des crises économiques, la Révolution française n’aurait pas eu lieu, et Hitler n’aurait pas pris le pouvoir.

Les partis radicaux, en particulier l’extrême-droite, peuvent donc prendre le pouvoir en France ; et alors, qui sait ce qui peut advenir ? Si quelqu’un a suffisamment de volonté pour essayer de mettre en place un totalitarisme et de devenir le maître absolu du pays, il n’a rien à inventer : dès lors qu’il aura le contrôle de la machine d’État, il aura aussi tous les outils à sa disposition. Tout est déjà là, prêt à l’usage ! Nos dirigeants feraient bien d’y penser : ils en seraient, à l’évidence, les premières victimes.

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