lundi 19 février 2018

Une bonne occasion de tester les missiles antisatellites

Par un article de M le magazine du Monde daté du 2 février dernier, j’ai appris que la startup aérospatiale américaine Rocket Lab avait mis en orbite, le 21 janvier dernier, une boule à facette géante. D’après l’article, « cette sphère disco kitsch d’un mètre de diamètre, dotée de soixante-cinq panneaux réfléchissants, tourne désormais sur elle-même et autour de la planète à une vitesse vingt-sept fois supérieure à celle du son. […] Elle a été conçue pour devenir l’un des objets les plus lumineux de la voûte céleste afin d’être visible par tous. »

Il s’agit, sous une apparence banale, d’un événement très grave. L’article du Monde remarquait fort justement que « derrière ce gadget se cache un exploit technologique qui inaugure une nouvelle ère de la conquête spatiale : celle où des opérateurs privés, dotés de fonds très inférieurs à ceux qui étaient jusqu’à présent nécessaires, s’invitent dans le juteux business du lancement des microsatellites et rendent l’espace commercialement accessible. »

Mais le problème n’est pas d’abord celui des profits à faire ; la question qui se pose est également celle de la propriété de l’espace. Et la réponse est évidente : l’espace est un bien commun à toute l’humanité – voire à toutes les espèces vivantes. Mais qu’un bien soit commun à tous ne signifie pas que chacun puisse en faire ce qu’il veut. En fait, cela signifie même le contraire : que chacun doit s’y interdire tout ce qui pourrait nuire aux autres.

Or, le lancement de cet engin est à l’évidence grandement nuisible, et ce pour deux raisons. La première est d’ordre pratique. L’espace est déjà fortement encombré d’objets, parfois utiles (certains satellites par exemple), parfois inutiles, voire dangereux (par exemple de nombreux déchets). L’encombrer un peu plus, sans aucun contrôle des États et de la collectivité, n’est de toute façon pas une bonne idée.

Mais la seconde raison est infiniment plus grave. Le ciel nocturne a un certain aspect, et une immense beauté. En fait, c’est une des choses les plus belles au monde. Il est beau comme il est, et il n’est pas juste que certains puissent en changer l’aspect à leur guise, simplement parce qu’ils en ont les moyens techniques et financiers. Cela doit être d’une part interdit, d’autre part empêché, par la force si nécessaire. Car ce n’est pas anodin, et il faut bien peser ce qui se joue ici. Quelques individus s’arrogent le droit de changer ce que voient tous les autres quand ils regardent le ciel la nuit. Comment ne pas être choqué ? Si des gens avaient les moyens de changer la couleur des couchers de soleil et des arcs-en-ciel, les laisserions-nous faire ?

De cela, il découle deux choses. La première, c’est que les dirigeants d’un maximum de pays doivent se pencher sur la question. Et ils doivent le faire de manière urgente, car le problème n’attendra pas des décennies : c’est dans les prochaines années qu’il va se poser de manière de plus en plus accrue. Pour l’instant, le droit de l’espace est principalement régi par le Traité de l’espace de 1966. C’est un bon texte, mais il est incomplet. Écrit en pleine guerre froide et à un moment où il était assez difficile d’imaginer que de simples particuliers pussent un jour se lancer sans financements publics dans l’aventure spatiale[1], il développe largement la question des intérêts et des responsabilités des États, mais reste presque muet sur ceux des individus et des ONG.

Il faut donc, dès maintenant, poser des règles pour interdire aux particuliers, mais aussi pour que les États s’interdisent eux-mêmes, tout ce qui pourrait nuire d’une manière ou d’une autre à l’humanité : encombrement inutile, modification de l’aspect céleste, augmentation de la pollution lumineuse etc. ; sans parler, évidemment, de l’utilisation de l’espace à des fins militaires – pour l’instant, il est seulement interdit de placer en orbite des armes nucléaires ou de destruction massive.

La seconde, c’est qu’il faut faire respecter les textes déjà signés, et calmer les ardeurs de Rocket Lab et de ceux qui, rapidement, voudront imiter la prouesse. Aux termes de l’article VI du Traité de l’espace, « les États […] ont la responsabilité internationale des activités nationales dans l’espace extra-atmosphérique, […] qu’elles soient entreprises par des organismes gouvernementaux ou par des entités non-gouvernementales ». Autrement dit, les États-Unis sont légalement responsables des activités de Rocket Lab.

Faisons donc appliquer le droit, et demandons-leur de retirer cet objet de l’espace ; et s’ils en sont incapables, demandons-leur de le détruire. Ça, pour le coup, ils en ont les moyens techniques. Et s’ils refusent, faisons-le nous-mêmes. Quand on y réfléchit un peu sérieusement, on s’aperçoit que ça en vaudrait la peine.




[1] Pour info, les moteurs de la fusée qui a lancé cette saloperie ont été fabriqués par des imprimantes 3D…

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